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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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5 octobre 2016

Ce n’est pas le meilleur hôtel - Sonia Russo

DSC_5252 Sonia Russo

Troisième étage, aile D, couloir B, je suis si discret que mes pas ne résonnent presque pas sur le linoléum vert. La pénombre à peine percée par les néons bourdonnants a avalé mon ombre fatiguée et seule ma blouse blanche attrape la lumière. Elle ondule comme un drapeau agité par une main implorante. Je déteste cet uniforme, on dirait une robe sur moi. Je longe le mur sans cesser de me retourner, vérifiant tous les numéros bien que je les connaisse par cœur. Chambre 310, mes mains laissent une empreinte de sueur sur la poignée, j’ouvre prudemment. Elle ne dort pas, comme certainement la majorité des âmes ici. Ce n’est pas le meilleur hôtel, il faut dire. Je n’ose pas encore la regarder et m’assieds près d’elle. Son nom, son âge ne m’importent guère. Elle m’observe sans rien dire et attend que je fasse le premier geste. La tête toujours baissée, je lui fais signe de me tendre sa main gauche, celle où j’ai moi-même installé l’intraveineuse il y a deux semaines. Elle est docile. Je m’efforce de rester calme et injecte la solution. Quelque chose passe dans ses yeux, rapidement, une question. Elle s’interroge sûrement sur la venue d’un infirmier à cette heure, alors qu’elle n’a appelé personne et, surtout, qu’elle va beaucoup mieux.

 

Certains comprennent plus vite que d’autres, il semblerait qu’elle soit de ceux-là. La cadence de mon cœur augmente, des fourmillements envahissent mon bas-ventre. Je plonge mes yeux dans les siens pour y chercher mon reflet, celui d’un homme, enfin. Autre chose s’y dessine également et trouble la vision désirée. Une parade bien connue : celle des émotions qui défilent, qui se bousculent, qui s’entrechoquent. L’étonnement viendra bien vite laisser sa place à l’imploration, puis la peur et enfin quelque chose d’autre, quelque chose qui vient de loin, d’ailleurs, quelque chose de vrai. Cela reste imprégné une, deux secondes avant d’être effacé par le néant. À chaque fois c’est presque identique avec tout de même des variations, des rythmes différents. Certains se résignent plus tôt alors que d’autres se débattent de façon répugnante jusqu’à la fin comme des poissons hors de l’eau. Parce que la vérité c’est ça, à mesure que le souffle les quitte, ils révèlent toute la faiblesse de leur vrai visage.

 

Madame Machin a bien compris, elle aimerait parler. Quoi ? Que dites-vous ? Je ne vous entends pas. Chuuut, c’est l’heure du silence maintenant, de la nuit. Mon visage est désormais à quelques centimètres du sien et je sens son souffle encore chaud, puant, une odeur précoce de décomposition. Ses pupilles dilatées renvoient l’image d’un homme ivre de puissance, il maîtrise sa force qui ne fait que croître. Tout l’inverse de ses yeux terrifiés et presque voilés à travers lesquels il prend vie. Mes muscles se tendent, mon sexe se durcit. L’homme ricane et dévoile des dents voraces. La femme rapetisse ridiculement et ses traits se figent dans un masque hideux.

 

Je sors, la porte claque derrière moi. J’avance au milieu du couloir, tache blanche dans l’obscurité. Un sourire rassasié sur les lèvres, je quitte l’aile D, gorgé d’une force nouvelle. Pour un temps.

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