Enfant de l’ivoire - Diane Strauss
En face de lui, l’homme était un imbécile qui s’ignorait. La pire espèce. La plus commune en somme.
C’était ce que recherchait Matembo. Il voulait un homme qui fasse bien son boulot et qui ne pense pas trop. Un homme animé d’un désir crasse de reconnaissance, insensible à la douleur de l’autre. Un homme confondant violence et puissance. Une brute se prenant pour un soldat.
Matembo rangea la lettre de recommandation dans la poche intérieure de sa veste de treillis. Il se leva, tendit à sa nouvelle recrue une poignée de main et une Kalachnikov, cadeau d’arrivée. Le reste viendrait plus tard, au camp. L’homme adressa à Matembo un regard cave et sortit de la tente.
Bientôt, à Dar-El-Salam, aurait lieu l’attentat le plus retentissant de l’histoire du pays. Du sang, de la chair éparpillée, des balles et des corps. Un mal, nécessaire. Le trafiquant se rassit sur la chaise pliante et ses doigts fins vinrent défaire le col de sa veste, laissant apparaitre un T-shirt jauni sur sa peau lustrée. Cette année, la saison des pluies tardait, le ciel pesait, écrasant, mais la terre restait sèche. Le gouvernement savait à quoi s’attendre, songea-t-il en sortant son briquet. Après l’arrestation de Yang Feng, sa supérieure, dite la Reine de l’Ivoire, l’Etat tanzanien s’était mis à démanteler le réseau, presque toute la branche chinoise était tombée. Il devenait délicat d’extraire les défenses d’éléphants du pays. Il était temps d’agir.
Matembo essuya son front avec une serviette humide, extirpa la lettre de sa poche. Face à la flamme, le papier résista d’abord, puis se rétracta dans un rougeoiement.
C’était les groupes kenyans qui avaient monté l’attentat. Ils avaient besoin de l’ivoire pour acheter des armes. Lui n’était que le soutien local. Mais, ses clients devenaient donneurs d’ordre. Et enfant de la brousse, le voilà transformé de chasseur d’éléphants à tueur d’innocents. Le papier calciné se mélangea, au rouge de la terre. Le chant du swahili lui manquait. Ce soir, peut-être que les poèmes d’Ebrahim Hussein raviveraient sa vigueur. Pour le moment, il se sentait accablé. L’horreur, incrustée dans la rétine des Tanzaniens, pour un signal. Pour un signal, la douleur sur le visage des siens. Des siens.