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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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5 octobre 2016

Night and Day Club - Tania Wagner

DSC_5213 Tania Wagner

Gotta find half a buck somewhere

I gotta shine my shoes and slick my hair

I gotta get myself a boutonniere

‘Cause Lulu’s back in town

Al Dubin

 

— Oh ! Pardon ! dit en souriant le garçon qui venait de bousculer Lulu.

Elle descendit prestement du bateau sans un regard pour l’importun. Lui, il lui adressait de petits signes de la main et ses dents luisaient dans le noir, à côté des phares.

Lulu, balançant des hanches, trotta depuis le quai jusqu’à trouver un taxi. Non pas qu’elle eût passé l’âge de voler dans Manhattan, ça non, mais ses ailes étaient engourdies sous son manteau de fourrure, et le voyage avait été long.

New York pétillait, plus encore que lorsqu’elle était partie pour Paris, vingt-cinq ans plus tôt. Elle n’était pas la seule. Une foule de fées électricité s’était pressée à tous les coins d’échafaudages de la ville-lumière à l’approche de l’Exposition Universelle de 1900. Il y avait de l’ouvrage pour toutes, là‑bas. Lulu avait même une petite réputation ; on l’avait spécialement sollicitée pour l’éclairage de la Tour Eiffel. Tout récemment, elle avait d’ailleurs effectué un petit contrat à l’Exposition Internationale.

Paris n’avait pas toujours été plaisant par la suite mais Lulu, elle, était restée. Le jour, elle avait sa radio et ses volets. Elle détestait le soleil. Elle ne sortait que la nuit, pour illuminer les clubs de jazz. Les Parisiens l’aimaient bien, Lulu, avec ses robes perlées qui, mystérieusement, scintillaient toujours plus que les autres.

Mais l’Amérique lui manquait. Paris by night, elle avait vu. Comment résister au New York tout frissonnant d’électricité qu’on lui promettait dans les magazines ?

Lulu sortit du taxi et se mit en chasse. Il lui fallait grand, et bruyant, et coloré. Elle marcha un moment, avisa une grande villa luxueuse, façon vieille chose à l’européenne, et son cœur crépita de petites étincelles de joie.

La musique était forte, débordait par les fenêtres. Elle se précipita à l’intérieur, se faufila entre deux danseuses, respira la sueur et la gomina des hommes déjà en bras de chemise, but une gorgée de champagne et se mit au travail. New York se ressouviendrait bientôt de Lulu.

L’éclairage se fit plus doux, moins clinquant. Les ampoules s’entourèrent d’un halo rose pâle tandis que le discret chatoiement des robes se reflétait dans les miroirs des murs et du plafond.

Petit à petit, le volume de la musique diminua, les danseurs ralentirent.

— Oh, soupira une fille en lissant ses cheveux crantés du bout des doigts, qu’est-ce qui se passe ? On se croirait dans le salon de ma grand-mère. On ne danse plus ?

La robe de Lulu parut soudain moins brillante, ses cheveux plus gris. Elle voleta silencieusement jusqu’à la rue et resta un instant sous la marquise de verre. Son cœur ne faisait plus d’étincelles, non, il lui semblait plutôt qu’on l’avait plongé dans l’eau. Elle traîna sous la pluie, jetant des regards furtifs par les fenêtres illuminées, sans oser entrer nulle part.

Elle se posa sur un réverbère, et dans la lucarne s’alluma une petite lueur verte aux éclats dorés. Elle s’y réchauffa, songeant à Paris. Oh, bien sûr, sa véritable gloire n’avait guère duré que le temps de l’Exposition Universelle, mais quand même. Elle n’avait peut-être plus ébloui Paris, mais elle en avait toujours été la luciole rassurante. C’était Lulu par-ci, Lulu par-là. Derrière elle, au matin, les rues rayonnaient encore et l’air s’irisait sur son passage.

Le jour allait venir. Il ne resta bientôt dans la rue que la petite lueur verte, et deux rangées de dents qui luisaient dans la pénombre.

— Vous ici ? dirent les dents. Moi, c’est Jay.

— Et moi Lulu, dit Lulu.

— Je suis contrebassiste au Night and Day, on ne ferme jamais. Tu viens ? dit Jay.

— D’accord, dit Lulu.

Ils descendirent la rue jusqu’au Night and Day, une grande cave de brique d’où s’échappait une musique étouffée. Lulu entra et s’assit près de la scène, entre le piano et un verre de kir.

Elle baissa l’ampoule, la colora de bleu et de mauve. Elle fit rebondir de petits rayons sur le saxophone, pailletant les volutes de fumée, et le club s’emplit d’une lumière qui tournoyait comme une averse d’été. Le bois laqué du piano renvoyait de grandes lueurs profondes ; du fond de la scène, le batteur lui lança une œillade. Dans le public, les ombres palpitaient avec un murmure d’aise. Et quand Lulu balançait ses épaules au rythme de la contrebasse, les perles de sa robe faisaient luire les dents de Jay.

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