L’eau des rêves - Marie-Lou Dulac

Il était une fois, dans un pays lointain, une famille de paysans très pauvres. Le cadet, plus faible que ses frères et toujours malade, passait son temps à se plaindre de sa vie misérable : « Si seulement j’étais fort, riche et aimé ! ». Un jour, alors qu’il se promenait hors des sentiers de la forêt, il découvrit un vaste lac qui s’étendait jusqu’au pied des montagnes. Il s’approcha de la berge, intrigué : on ne distinguait pas le fond de l’eau. Sa surface se moirait de reflets irisés encore plus beaux que les joyaux d’une reine. Soudain, une voix cristalline s’éleva dans les airs et dit au jeune garçon :

-          Ce lac est magique. Plonge dans l’onde pure et tu pourras voir tout ce que tu désires…

L’enfant, souhaitant fuir sa vie de misère, se jeta dans l’eau la tête la première et sombra immédiatement dans un profond sommeil. Il ignorait que le lac était habité par une sorcière qui attirait les innocents pour se nourrir de leurs rêves. Si l’enfant demeurait là plus de trois jours, il en deviendrait prisonnier pour l’éternité et ses rêves se mueraient en cauchemars. Mais comme il l’ignorait, il passa trois jours tout à fait délicieux. Le premier jour, il rêva qu’il était très fort et qu’il terrassait tous ses ennemis. Le deuxième jour, il rêva qu’il était très riche et qu’il vivait dans l’opulence. Le troisième jour, il rêva qu’il épousait la plus belle femme du pays et qu’ils avaient beaucoup d’enfants.

A la fin du troisième jour, la sorcière apparut et lui dit :

-          Désires-tu rester ici où tes rêves ont pris vie ?

La proposition était alléchante : jamais l’existence de l’enfant n’avait été aussi agréable. Mais il repensa à sa famille, à sa mère, à son père, à ses frères qu’il ne reverrait plus. Il soupira :

-          Qu’importe ces belles choses si rien n’est vrai… Je m’en vais !

La sorcière n’avait jamais vu personne refuser son offre. Elle fut si vexée qu’elle disparut sur-le-champ.

Le cadet rentra chez lui, cessa de se plaindre et commença à travailler d’arrache-pied pour soutenir sa famille. Le travail le rendit fort et vigoureux, si bien qu’il surpassa de loin tous ses frères. Il redoubla d’ingéniosité pour améliorer la fertilité des champs et vendit l’excédent des récoltes ; il devint très riche et acheta un château de la région pour loger ses vieux parents. Un jour, il se rendit chez un marchand voisin qui lui apprit que sa fille était en âge de se marier. Jamais il n’avait vu plus belle femme, il décida alors de l’épouser. On raconte qu’ils vécurent heureux pendant de longues années et qu’ils eurent beaucoup d’enfants…

Le garçon sursauta. La sorcière se tenait près de lui. Ses yeux exorbités étaient injectés de sang et ses cheveux verdâtres flottaient au-dessus de sa tête comme des algues dégoûtantes. Le soleil venait de se coucher sur le troisième jour. La sorcière ricana. Elle ne lui laisserait pas le choix. Il sombra alors dans une nuit éternelle peuplée de cauchemars terrifiants.