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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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5 octobre 2016

La Chevalière sans nom - Fabienne Treille

Elle allait à cheval seule depuis le début. Longue était sa route et vastes les pays parcourus. Elle avait combattu, chassé et péché, s’était défendue contre les bêtes féroces. C’était une guerrière sans nom et sans parole. Une barbare, une sauvage.

Un jour qu’elle galopait dans la forêt, une épaisse nappe de brouillard l’enveloppa. Plus rien ne bougeait. Les arbres s’étaient figés et les oiseaux tus. Le temps s’était arrêté. 

Maintenant, son cheval refuse d’avancer, la fatigue la terrasse. Elle glisse et tombe.

Dans le silence gelé, une main la rattrape. Une main grande comme la carte du monde, aussi creusée que le lit à sec d’une rivière, une main sûre, une main douce, une main de miel et de lait.

Une ritournelle s’échappe du ciel voilé : « Petite, petite, donne-moi ton nom, ma perle, ma tourterelle, endors-toi et reste avec moi ».

« Petite, petite, donne-moi ton nom, et toujours tu rêveras, le temps jamais ne passera. »

Ce murmure est si beau, si tendre qu’elle s’abandonne.

Auréolée de nuages, se dresse l’Ogresse blanche. Majestueuse, elle recouvre le monde, des colliers de galets et d’os s’entrechoquent autour de son cou. Dans sa main, la petite est minuscule. Pour la première fois, elle a peur.

L’ogresse se penche vers elle et la berce : « Petite, petite, ton nom pour mes bijoux, ton nom, et tu m’appartiendras ».

Soudain, une voix rompt l’enchantement, « Saute, tout de suite, vite ! ». Au-dessous de la fillette, dans une des poches de la sorcière, luit un caillou transparent. Et dans ce caillou se cache un sourire.

La petite fille s’élance et rejoint Petit Sourire. C’est le nom du caillou.

« Ne donne pas ton nom à l’ogresse sinon elle enfermera tes rêves dans un de ses colliers et tu tinteras comme une cloche jusqu’à la fin de tes jours ».

Pour la première fois, elle parle : « je suis sans nom. On ne m’appelle pas. »

 «Toi seule peut mettre fin à la malédiction lui dit-il. Je ne suis qu’un sourire. Mais je t’attendrai. Coupe les fils des colliers, et le sort disparaîtra. »

Pour la première fois, elle hésite : elle n’a pas envie de se battre, elle voudrait partir avec Petit Sourire, là, tout de suite, et retrouver son cheval. Mais la nuit tombe,  il est déjà trop tard. Elle embrasse Petit Sourire, recueille au fond de la poche de l’ogresse des morceaux de brume dont elle se bouche les oreilles avant de partir à l’assaut.

Tout au long de l’ascension, l’ogresse furieuse tourne et virevolte pour la faire choir. Elle fredonne des mots doux qui n’atteignent plus la fillette. De ses mains caressantes, elle essaie de saisir  la guerrière mais celle-ci est agile. Arrivée au sommet, elle s’accroche aux cheveux de soie de la sorcière et d’un coup, avec ses dents de sauvage, tranche les fils des colliers. Un cri déchirant retentit alors, et tous les galets volent en éclats, laissant échapper les prénoms des enfants perdus. Dans un tourbillon blanc, les rêves libérés se dispersent dans le ciel, le brouillard se dissipe enfin.

Ne reste de l’ogresse qu’un lambeau de nuage, d’où perlent mille gouttes de pluie, mille larmes, qui forment bientôt un lac sans fond, aux eaux pures.

Le jour se lève et pour la première fois, la chevalière sent battre son cœur. Pour la première fois, elle veut confier un secret. Pour la première fois, elle attend.

 

Au bord du lac, dans la clarté retrouvée, quelqu’un va m’appeler. Je sais que ce sera Petit Sourire et je sais que ce nom qui résonnera dans l’air sera le mien.

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