Deux minutes trente - Bénédicte La Capria

Deux  minutes trente. C'est le temps qu'il me reste et je ne le passerai pas avec toi, mon amour. Attends, je vais t'expliquer.  Quand j'avais 12 ans, mes parents ont commencé à se disputer. Pour un oui, pour un non, ils se jetaient des sorts à la tête. Ma mère cachait des sortilèges dans tous les recoins de la maison. Mon père la transformait en créature si terrifiante que je hurlais chaque fois qu'elle m'apparaissait. Je ne savais jamais quel nouveau monstre sorti de leur cerveau malade me servirait mon lait. Je hais la sorcellerie. A cause des pouvoirs de mes parents, j'ai grandi assourdie d'hurlements et entourée de corps déchiquetés. Séparément, ils étaient presque normaux et je les ai suppliés mille fois de divorcer. Ils prétendaient alors que c'était pour moi qu'ils restaient ensemble. Parce qu'ils m'aimaient. Ils mentaient ! La vérité, c'est que leur passion, leur véritable passion, c'est de se détruire. Fatalement, comme j'étais ce que l'un et l'autre avaient de plus précieux, ils ont fini par m'utiliser à cette fin. Il me reste combien de temps maintenant ? Une minute ? Je ne sais pas si dans les familles normales, on fait ça. Je veux dire, se servir des enfants pour se faire du mal.  Je ne sais pas si c'est normal, tout ça.

- A 15 ans, Lasthénie sera prise d'urticaire hilarant chaque fois que tu apparaitras, sifflait ma mère.

-  Le jour de ses 16 ans, elle dérobera ton image et en revêtira sa beauté. Tu n'auras plus de reflet rétorquait mon père.

- Espèce de salaud, crachait ma mère.

- Qu'à ton vagin pousse des dents maugréait mon père.

- Je maudis ta fille s'emporta ma mère. Sa beauté sera un piège. Tous les hommes tomberont à ses pieds. Mais un seul baiser d'amour la tuera !

Ils ont essayé par la suite de désamorcer ce sortilège. Mon père a arpenté les contes et légendes à la recherche d'un antidote. Ma mère a même demandé une audience au diable. Mais Personne n'a pu nous aider. Malgré ça, mes parents prétendent qu'ils trouveront un remède...

Tout à l'heure, je n'ai rien dit quand tu as pris mes lèvres. Je savais que ce premier baiser serait le dernier. Je ne regrette pas. C'était bon, et doux, si... blanc. Quand tes lèvres ont quitté ma bouche, il me restait 2 minutes 30 à vivre. Alors je t'ai demandé de partir et quand tu as refermé la porte, un trou béant s'est ouvert dans ma poitrine.  Mon cœur bat les secondes. Toctoc. Toctoctoc. Tu les entends? On dirait un petit cheval qui s'enfuit au galop. Oh, ne sois pas triste, je t'en prie. Je t'aime. Je t'aime tellement que ça me fait mal.

Vivre sans amour, c'est déjà être morte.

Comments

[VAY Céline]

Excellent texte, une jolie façon de décrire les maux des enfants dont les parents se déchirent et les conséquences sur leur devenir d'adulte