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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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5 octobre 2016

Petit papa regret - Jean-Lou David

DSC_6108 Jean-Lou David

La semaine qu'il a voulu se tuer l'année dernière, papa il avait décroché le crucifix de sa mère du rétroviseur de sa voiture. Ça le gênait de devoir faire ça devant Jésus, devant le seul souvenir qu'il avait de sa maman. Depuis, il l'a raccroché mais ça va pas vraiment mieux. N'empêche, depuis ce temps, je jette toujours un œil à sa voiture... voir si ça lui reprendrait pas. C'est mon sens du détail. Un jour, c'est sûr, ça sera pour de bon.

 

Ça se transmet génétiquement le christianisme, une fois sur deux. C'est une tare familiale. C'est pas exactement ma faute alors ça me rassure. Papa aussi c'est jamais sa faute. Pourtant il culpabilise. C'est une gymnastique périlleuse. Quand on va à la messe ensemble moi et papa, pour rigoler, lui c'est les chants religieux son truc. Quand il fumait du crack à Montréal avec une prostitué transgenre, mon papa, je me demande bien si ça lui plaisait déjà les chants religieux. C'est venu par la suite sans doute. C'est après son divorce avec maman qu'il est devenu bizarre pour de bon. Le coup du géniteur remercié, quand même, il ne l'avait pas vu venir. Son gros salaire à la mine ça lui permettait de bien patauger dans sa misère. On allait marcher au bord du lac parfois à cette époque, il était cerné et déjà un peu muet. Il nous faisait courir en rond moi et mon frère pour nous épuiser car il n'aimait pas '' le bruit inutile '', aussi bien dire les rires et les joies d'enfants. Son enfance à lui, quoiqu'il n'en a jamais beaucoup parlé, c'était pas drôle j'imagine. La joie c'est rare dans les bonnes familles catholiques. Ma tante, elle dit que Papa il a toujours été dépressif. Déjà jeune, ça lui plaisait de traîner avec les éclopés et les mésadaptés. Mon père, c'est le borgne roi chez les aveugles. À 19 ans déjà il avait menacé de se suicider un soir à sa mère, pour une peine d'amour exubérante que lui avait inspirée une fille qu'il n'a jamais connue, bibliquement je veux dire. Il était alors parti pour l'Ouest canadien, noyer sa peine dans un autre océan. Là-bas, ma tante dit qu'il s'est fait de drôles d'amis, dont un juif déficient léger et pyromane, qui fut un temps mon genre de parrain, tonton Barry, avec qui il a fait cramer une ferme des années plus tard et une femme asiatique aveugle, aussi, à Vancouver dont la main lui fut refusée. Son patron surtout, avec lequel il a couché. Pas sa faute.

 

Dernièrement, sa deuxième femme l'a laissé. Une péruvienne qui l'a marié pour obtenir sa citoyenneté canadienne. Il s'est pris un grand condo blanc en banlieue de Gatineau. Dans son salon, il n'y a qu'une chaise, une toute petite table et une télé à écran plat. Les placards sont immenses et vides, assez grands et assez vide pour qu'il puisse y faire les cent-pas à son aise. Il n'en sort pratiquement jamais. De son condo je veux dire. Quand je vais le voir généralement on parle peu, on va l'église puis au café. Le reste du temps je pense, il songe, il pleure, il regrette, il prie, il se mortifie peu à peu, se masturbe aussi sur des sites gay, ne fait rien, ne veut rien, attend la mort avec résignation.

 

Dis papa, un jour, quand tu te suicidera, il sera à moi ce crucifix ? J'irai à l'église, ta préférée à Montréal, j'parlerai à Dieu sans détour, j'lui demanderai une bonne fois pour toute c'est quoi son foutu problème. J'irai me signer à l'eau bénite, comme tu faisais, en sentant mes doigts après. Est-ce que ca existe oui ou non l'odeur de sainteté ? C'est pas nous qui se ferait prendre à schlinguer de la sorte pas vrai papa ? Ça non ! Jamais nous. Jamais de notre faute.

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