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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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5 octobre 2016

Lou darrè die - Le dernier jour - Pauline Kamakine

DSC_6085 Pauline Kamakine

            Mes routes me ramènent enfin en Bigorre. Mon village natal m’attendait depuis longtemps. De la maison, un volet demeurait fermé. J’entr’aperçus pourtant une petite lueur. Ma mère sortit m’accueillir sur le seuil, le seuil de mon enfance. J’entrai. Autour de la table, près de l’âtre où brûlait le bois de nos automnes passés, siégeait la famille. « Ne fais pas de bruit, Grand Papet dort » me dit-on. Chez nous, les Bigourdans, on se persuade que le discret, le secret, épargnent des blessures de l’existence.

            Les gens du village disaient « il n’y a rien à faire à la campagne désormais, à l’avenir on ne parlera plus patois ». Il m’avait donc fallu partir loin, jusqu’à l’étranger, pour comprendre, pour revenir. Mais ne suis-je pas revenue trop tard au pays, en ce lieu peuplé de champs d’étoiles, reflétant les immensités du ciel rythmées par le carillon de l’Église endormie ? Ce lieu où les oiseaux murmurent aux rivières, dessinent le toit du monde et s’endorment auprès du cimetière, de la gare et de horloge, oublieuse du temps.

            Dans les jardins, des êtres minuscules et mystérieux fourmillent au creux des sillons labourés de souvenirs. Les chiens y sont fidèles et les grands-parents patients. Le chant des tourterelles se glisse dans le conduit des cheminées, les fleurs s’épanouissent en toutes saisons ; des anges surveillent notre terre nourricière, qui nous voit naître et disparaître.

            Grand Papet l’a retournée cette terre. Les jours de grandes chaleurs il s’asseyait à l’ombre du chêne et chantait « Cantem Bigorre ! ». J’entendrai toujours l’écho de sa voix qui résonnait dès que j’ouvrais la porte : « Salut jeune fille » - « E Adiu Gouyate ». Il reconnaissait mon pas feutré dans le grenier. M’attendait au bas de l’escalier, adossé à la tapisserie jaunie, esquissant un sourire à la vue de mes mains emplies de trésors : photographies rongées par le temps, cartes postales de la Grande Guerre, outils ayant perdu leur usage et leur nom. Je les réveillais à la vie, soufflais sur leur poussière, demandais à Grand Papet de me les raconter, de me les conter en bigourdan.

              Nos paysages sont éternels, immobiles et silencieux. On oublie souvent ce qui dérange, ce qui va à contresens, à contre-courant. Victor Hugo a séjourné dans la majesté de nos montagnes et a écrit nos Pyrénées, en français. D’ailleurs, aux siècles passés, le Pont d’Espagne, nos ancêtres l’appelaient Lou Pount de Néts. Certains l’ont su cette langue, d’autres l’ont ignorée et trop peu s’en souviennent.

           

            J’ai cru trouver ailleurs ce que j’avais ici. Ô moun país, te voir vieillir, j’en ai peur. J’ai voulu fuir tes réalités et suis partie en te laissant mon cœur. Dis-moi que je ne suis pas revenue trop tard. Qu’un avenir verra le jour, que mes espérances me survivront.

            Dans nos villages, il n’y a plus rien à faire, les maisons se ferment, les langages se perdent, les voix se taisent ; l’Histoire s’arrête, brutalement. Pensez-y un soir d’hiver. Pensez à moi, qui suis rentrée auprès des miens.

            Souvenez-vous qu’hier après-midi le vent soufflait très fort. Que je regardais à travers la fenêtre les feuilles tombant des arbres. Grand Papet ne les verra pas cette année. On m’avait dit qu’il dormait, dans la chambre aux volets clos, celle éclairée d’un cierge. Un drap blanc a recouvert le passé, je suis rentrée trop tard, le silence a remplacé sa voix.

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