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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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5 octobre 2016

Histoire d’ A - Maxette Marie-Jo Delase

DSC_6084 Maxette Egerton

Il marchait avec sa canne et sa canne ne lui servait plus pour marcher, mais pour battre la mesure de son cœur effréné, plein d’amour sans mesure.

Il dansait, qui l’eût dit, lui que son bâton ne quittait plus, depuis ce fameux jour !

Il est des miracles qui ne peuvent se produire que dans les histoires d’A !

 

Il s’était levé tôt ce matin. C’était un jour important, très important. Il allait enfin être à ses côtés pour ce « oui » qui les engageraient.

Comme chaque jour que Dieu fait, il s’était dirigé vers son jardin. Contemplant la vie qui s’éveillait, il priait.

C’était l’été, le moment où les petites morsures du soleil et l’odeur mêlée des fruits et des fleurs, lui disaient lointainement, quelque chose de son île.

Que le temps passait vite, un voyage par tous les vents : celui d’Autan, qui portait depuis des siècles, les histoires des hommes de ce pays qui l’avait adopté, le faisant passer de la culture de l’igname, à celle de la pomme de terre.

Celui des Alizées… Il frissonna. Cette brise parfumée qui dans le silence du soleil couchant, laissait entendre les remous de la mer toute proche, déversant les histoires des hommes de ce pays qui l’avait vu naître.

 

Au repos d’une journée aux champs, il s’asseyait sous sa galerie, pipe au coin de la bouche et Léa venait le rejoindre, posant sur lui, un regard qui annonçait la suite : point de situation sur leurs enfants, débat sur l’achat du terrain convoité, colère pour ce qu’elle lui avait demandé de faire, sur un ton qui ne lui avait pas plu, et qu’il n’avait pas fait. C’était lui le chef !

 

Avec sa silhouette bien taillée, sa poitrine généreuse, ses mollets dodus comme des mangues bien mûres, son port de tête de femme ayant monté des mornes, enjambé collines et rivières chargée de son ballot, Léa ne pouvait passer inaperçue. Elle était belle ! Le regard des hommes le disait bien, celui des femmes aussi, qui auraient voulu qu’elle disparaisse, aux fins fonds des pires fonds qui puissent exister. Connue pour ses réparties qui pouvaient vous déchirer jusqu’au pauvre manteau de la honte, elle était respectée. Léa, un potomitan[1], tout bonnement !

 

Les Sages disent qu’il ne faut jamais se coucher fâchés. Une fois dit, ce qui était dit, venait le moment qu’il préférait. Ses yeux et sa bouche ourlée, océans de tendresse et de sensualité le visaient, lui, Maurice, son mari, présageant des houles déchaînées, puis voluptueuses, qui les conduisaient vers des rivages qui leur  appartenaient à eux- seuls. Mais ces choses- là ne se disent pas. Histoire d’A !

 

Et puis, un mauvais jour de septembre, la brise bienfaisante s’était tournée[2] en cyclone, jetant son dévolu sur les côtes de la Guadeloupe, kalbandant[3] le lit des rivières comme celui des hommes, projetant par spasmes violents l’écume de ses ébats jusque dans les terres dans un râle assourdissant, voltigeant ce qu’ils avaient de plus intime sur les routes, dans les vallées,  aux vents mauvais, aux vents très mauvais.

Ils lui avaient ravi sa Léa, emportée vers les cieux qu’elle avait tant priés. Blessé à la jambe, il avait bien tenté de la tirer dessous cette poudre arrachée à leur toit. Rien n’y avait fait : sa bouche ne parlait plus, sa poitrine ne bougeait plus, ses jambes ne marchaient plus. Le silence, mortel. Le vide, cruel. Le départ, pour oublier, continuer !

 

Maurice se tenait sur l’autel, serrant la main de Léa,  le visage marqué des ravines de sa Guadeloupe natale, et des sillons de ses Pyrénées d’adoption. Quelle bataille pour arriver jusque là !

Il avait dû redoubler de prières, de patience et de persévérance.  

Loïse, la mère de Léa, s’était opposée de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit, à cette union.  Par un jour de vents mauvais, de vents très mauvais, elle avait juré qu’elle ne remettrait plus les pieds dans une église. Ce Dieu, qui n’était jamais là quand on avait besoin de lui, laissant faire les pires choses sur cette terre, elle ne le prierait plus. Non, jamais plus. Il lui avait enlevé sa mère !

Léa avait tenu ferme dans son choix.

Loïse assistait finalement à la cérémonie, tout étonnée de retrouver l’atmosphère rassurante de ses jeunes années. Qui l’eût dit ?

Il est des miracles qui ne peuvent se produire que dans les histoires d’A !

 

La  voix du prêtre s’éleva :

 «  Léa, je te baptise, au nom du Père, du Fils et du Saint- Esprit, Amen » !

Sur les rivages pleins de promesses de sa jeunesse, sa petite- fille venait de dire oui au baptême tandis qu’il confirmait son engagement en tant que parrain.

Maurice descendit de l’autel aux côtés de Léa.

Il marchait avec sa canne et sa canne ne lui servait plus pour marcher, mais pour battre la mesure d’un cœur effréné, plein d’une joie, sans mesure.

Histoire d’Amour!

 



[1] Potomitan : mot du créole antillais s’apparentant à pierre angulaire, poutre maîtresse

[2] Créolisme

[3] Tiré du créole guadeloupéen. Signifie chavirer, renverser, culbuter

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