BOUCLE EN FIN et PASSATION DE POUVOIR - Soha Safaï
BOUCLE EN FIN
Le ciel se couvre d’un nuage
Lorsque j’annonce mon départ.
Rien ne s’écrit sur ton visage ;
Tu dis : « Je t’emmène à la gare ? »
Lorsque j’annonce mon départ,
Rien ne tonne, pas de tressaut.
Tu dis : « Je t’emmène à la gare »,
Un instant avant : « Il fait beau ».
Rien ne tonne, pas de tressaut,
Mais je l’ai vu, ton œil voilé…
Un instant avant : « Il fait beau »,
Une ombre timide est passée.
Mais je l’ai vu, ton œil voilé ;
Crache ce mot, de ta voix franche !
Une ombre timide est passée :
Transforme-la en avalanche !
Crache ce mot, de ta voix franche !
La locomotive a sifflé :
Transforme-la en avalanche !
Tu disparais dans la fumée.
La locomotive a sifflé,
Le ciel se couvre d’un nuage ;
Tu disparais dans la fumée :
Rien ne s’écrit sur ton visage.
*
PASSATION DE POUVOIR
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir
Quand point le crépuscule et que l’astre du soir
N’a pas chassé encore un soleil faiblissant ;
Mais je poursuis toujours, et toujours en gagnant
Mon solaire jumeau qui en vain veut rester.
Le Dieu du jour n’a pas le royaume en entier.
Comme le joug qui lia le monarque Etéocle
A Polynice sur un faux fraternel socle ;
La solution trouvée fut pour tous deux la pire :
L’un attend le pouvoir, et l’autre se retire.
Le soleil est parti, et moi, l’irrésistible,
Et moi, la Nuit qu’on craint, et moi, la Nuit terrible,
Je m’établis sur vous, et je prends son empire
À celui qui le jour berçait votre planète.
Je suis reine du noir : j’aide la noire bête
À trouver sa pitance, et colore mon ire
De la plante humide qui vainc les flots célestes.
Je passe, et l’homme est pris d’une quinte funeste ;
Je passe, et dans son lit, au creux de sa maison,
La femme se réveille, pleine de frissons.
Certes, je partirai ; certes, vous reverrez
Le père de la vie qui viendra vous dorer ;
Mais le mal que je fais le temps de quelques heures
Pour être réparé coûte bien du labeur.