UN AMOUR - Julien Clément

Le ciel basculait vers le bleu. Il était encore vide, simple, lisse. Le soleil se levait. Comme à son habitude, elle  se tenait devant la fenêtre de notre appartement. Je la contemplais. C'était étrange de la regarder, qui regardait passer les gens, et ne se sachant pas observée. Je n'avais aucune idée de ce qu'elle voyait, mais absorbé par sa beauté, je m'en moquais. Je fis quelques pas. D'où j'étais, je pouvais apercevoir une bande de junkies aux traits tirés et au teint blême. Elle aussi les regardait. Continuant d'avancer, je reconnus le petit entrepôt désaffecté. Des musiciens passèrent à leur tour, ils semblaient fatigués probablement à cause de leur nuit. La rue m'apparaissait sans intérêt. Je n'arrivais pas à la comprendre, elle, qui pouvait rester tout le matin à la contempler. Peut-être s'imaginait-elle une autre vie à travers chacun des passants ? Ou alors, à choisir entre l'ennui de la maison et l'ennui de la rue, elle préférait encore celui de la rue ? Je m'approchai d'elle. Je me plaçai à sa droite. Elle ne me regarda pas, elle gardait les yeux rivés sur la rue. Un jeune couple encore plein d'amour marchait. Je rompis le silence :

"Tu as réfléchi à ce que je t'ai proposé ?

- Oui, répondit-elle sans détourner ses yeux de la rue.

- Alors ?

- J'accepte."

Qu'elle accepte ne me rendait ni heureux ni triste. Je lui avais fait cette demande quelques jours plus tôt, m'attendant à un refus, mais à ma plus grande surprise elle m'avait annoncé qu'elle y réfléchirait. Elle s'était sûrement mise à penser comme moi. Nous savions que nous ne nous aimions pas. Mais elle comme moi sommes pareils. Nous n'aimons personne. C'est ainsi que notre relation a commencé, sans amour. Depuis quelques années nous vivions ainsi, dans l'absence de contact, de paroles, de vie même. Nous marier n'apporterait rien. Ne pas être marié, moins encore. Sans conviction, elle répéta :

"J'accepte."