Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
  • Venez découvrir les textes écrits par les stagiaires et les écrivains des Ateliers d’Écriture du Prix du Jeune Écrivain, ainsi que divers témoignages et autres contributions littéraires. Crédit photos : Guy Bernot
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Visiteurs
Depuis la création 44 019
30 octobre 2015

ORGUE BARBARE - Soha Safaï

 

4

Je tombe tout le temps amoureuse de tarés. La première fois qu’Octave m’a invitée chez lui, il m’a proposé d’écouter ses photos. Il a tiré d’un secrétaire sa collection de reproductions d’orgue, en a choisi une, on s’est assis sur le canapé et il m’a dit :

- Chaque photo a immortalisé un concert. Celui-ci, c’est mon préféré, un opéra tiré de la Chanson de Roland. On va se régaler.

Il m’a pris la main et on a regardé ensemble la photo pendant deux heures.

À la fin, il était métamorphosé.

- Magnifique ! Tu as aimé l’ouverture des trompettes ? Et le fracas des percussions pendant la bataille ? Et les appels angoissés du cor ? Et les flûtes qui scandent la trahison de Ganelon ?

J’avais aimé ses yeux animés, son visage rayonnant, son sourire lointain.

Quand je me suis installée chez lui, j’ai voulu apprendre à entendre. J’ai profité de ses absences pour ouvrir le secrétaire, sortir une photo, m’asseoir sur le canapé et la regarder intensément. Mais je ne voyais qu’un instrument mal cadré, souvent en noir et blanc, colossal et figé.

Un soir, Octave a ramené à la maison son amie d’enfance, de passage en ville. On a écouté la Chanson de Roland. Enfin, ils ont écouté. Moi, je connaissais l’image par cœur.

- Magnifique ! s’est-elle écriée à la fin. Comme j’ai aimé l’ouverture des trompettes ! Et le fracas des percussions pendant la bataille ! Et les appels angoissés du cor ! Et les flûtes qui scandent la trahison de Ganelon !

Je n’ai pas dormi. Au matin, aussitôt Octave parti, je fouille frénétiquement dans le tiroir, je sors la photo de l’orgue qui a interprété un soir, il y a des années, la Chanson de Roland.

- Joue pour moi, puisque tu l’as fait pour elle ! Joue !

Mais l’orgue reste une image d’un instrument mal cadré, en noir et blanc, colossal et figé. Alors je prends mon briquet.

Le feu saisit la photo à la base, assaille les coins, s’acharne jusqu’à les faire se recroqueviller et attaquer eux-mêmes le centre ; et enfin j’entends le bois de l’orgue éclater, les tuyaux gémir, les touches du clavier se débattre pendant que l’image se désintègre dans les flammes.

Publicité
Commentaires
Publicité
Publicité