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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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  • Venez découvrir les textes écrits par les stagiaires et les écrivains des Ateliers d’Écriture du Prix du Jeune Écrivain, ainsi que divers témoignages et autres contributions littéraires. Crédit photos : Guy Bernot
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30 octobre 2015

LA PROMESSE - Estée Krikorian

Face à elle, la mer à perte de vue.

            Comme hier, avant-hier et tous les jours qui précèdent, elle est allée s’asseoir sur les rochers au bord de la falaise. Elle fixe l'horizon. Cela peut durer des heures. Son œil ne capte ni la lumière du soleil à l'agonie, ni son reflet qui danse sur les eaux. Elle a l'allure d'une enfant, mais son visage porte les marques d'une souffrance sans âge. Elle attend quelqu'un qui reviendra.

            L'air salé lui pique les yeux.

            A contempler les flots si calmes, on ne se doute pas qu'il y a la guerre là-bas. 

            Quand il commence à faire trop sombre ou trop froid, elle se lève péniblement et s'en retourne d'où elle vient.

            Néanmoins elle ne peut s'empêcher de revenir le lendemain, le surlendemain, et tous les jours qui suivent. Elle vient d'abord à heure fixe, en début de soirée, mais, alors que l’absence se prolonge, l'attente s'étire avec démesure. Rester trois heures, puis quatre, puis six. Rester une nuit entière à somnoler au son lointain du roulis des vagues. Rejoindre la mer quelle que soit l'heure, plusieurs fois par jour. On tente de la raisonner, et on se décourage.

            Cette nuit-là, alors qu'elle se trouve dans sa maison au fond des bois, dans un lit bien trop grand pour elle seule, le sommeil la fuit obstinément. Les premières lueurs du jour commencent à peine à chasser les étoiles qu'elle est déjà prête.

             Les arbres s'approchent avec leurs branches menaçantes. Elle ne les remarque pas. Vexés, ils griffent ses bras et ses joues. Sans même leur accorder une grimace ou un cri, elle poursuit son chemin. Elle se traîne, trébuche, tombe, mais elle se relève toujours en silence. Avec le temps, elle s'est enveloppée d'un épais voile d'indifférence.

            Il faut ensuite affronter les vents qui voudraient bien qu'elle les rejoigne dans leur course au-dessus du vide. Elle pourrait accepter. Mais elle sait qu'elle n'a pas le droit. Alors elle lutte tant qu'elle peut. Cette fois encore, les vents cèdent.

            Elle arrive enfin : son rocher l'attend. Elle prend place avec soulagement. Ici, face à la mer, les secondes deviennent des jours, les minutes des mois, les heures des années. 

            Son cœur pèse tant dans sa poitrine qu'il la cloue au sol. Elle ne sait plus vivre, mais ne peut pas mourir. Elle doit l'attendre. Il faut rester, immobile.

              Les pierres prennent en pitié cette femme abandonnée. Ses membres se raidissent. Sa peau se craquelle. Ses traits se figent. Elle fait corps avec la roche. Ses formes sont à présent de nouvelles aspérités de la falaise.

            La mer et le ciel se mélangent au loin et il n'y a pas un bateau pour tenter de les séparer.

            Elle attendra toujours quelqu'un qui ne reviendra jamais.

            Ils se l'étaient promis.

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