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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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30 octobre 2015

LE CAPRICE - Louise Landes

Au bord de la mer, il y avait une ville. Une ville frémissante de mouvements et de couleurs, fourmillant d'idées et de désirs.

Les habitants aimaient se promener sur la plage à l'écart des moteurs. Les baignades apaisaient les esprits, les gens devenaient indolents.

La mer voulait récupérer l'attention des humains qui peuplaient son recoin du monde. Elle se rappellerait à leur bon souvenir. Elle décida de prendre sa revanche.

Avec méthode elle attaqua le port. Trop de rafiots, de pollution, de rancœur. Elle lécha les coques de bateaux jusqu'à ce qu'elles pourrissent, fit rouiller les ancres. Elle rampa sur les docks, entre les pavés de la ville.

Puis elle reflua. Pas la peine de se donner en spectacle. Pas encore.

La mer rejoua la même scène chaque mois, chaque semaine, chaque jour. Les eaux avaient gonflé en catimini. Ils allaient voir, ces traîtres, s'ils ne prenaient pas garde.

La mer fit bouillonner la surface. Elle voulait qu'ils comprennent sa fureur. Les touristes observaient, curieux, « ce n'est rien, juste le volcan sous-marin qui s'agite un peu ». Ils prenaient des photos et laissaient bouillir la colère de l'océan. Quelle indifférence ! Ils paieraient.

L'écume se fit de plus en plus blanche et abondante, comme une armée dont les os jonchent le champ de bataille. Les enfants pataugèrent avec bonheur et s'exclamèrent « c'est joli ». Le message était pourtant clair.

La mer se tinta de vert bouteille. Les marins n'avaient jamais vu ça avant. Ils auraient dû s'alerter. La mer fut outragée. Elle poussa un râle. Les bateaux grincèrent, chavirèrent parfois. Les marins l'ignorèrent encore.

C'était à peine si les humains voyaient la mer. Comment osaient-ils la négliger, elle qui leur fournissait travail, loisir et contemplation ? Elle envahit alors la plus grande place de la cité, et toutes les rues qui y menaient.

Cette fois-ci il y eut des cris et des mouvements de foule. Des attroupements se faisaient et se défaisaient, on n'avait pas le temps de parler, de savoir où aller, de retrouver ses amis. Il fallait courir, bousculer pour ne pas être piétiné, crier pour ne pas disparaître dans le flot de la foule.

La mer s'ébroua, balança les étals, les panneaux, les voitures et les bicyclettes, goba goulûment tout ce qu'elle put. Elle envahit les boutiques, détruisit les monuments et recouvrit le cimetière.

Sa bile réduisit les restes en poudre fine et salée. Puis, elle battit en retraite. Elle se laissa choir le long des pentes, emportant les pleurs des survivants sur son passage.

Les humains tentèrent de lui faire barrage. Ils construisirent des digues, des écluses. La mer se rit de leurs murailles. A peine eurent-ils fini leurs travaux qu'elle projeta sa force contre leur prison. Les gens hurlaient aux balcons, écopaient à la hâte, cherchaient leurs morts parmi les flots. Certains nageaient pour regagner un foyer. Ils faisaient un geste, puis un autre, essayaient de reprendre leur souffle, et leurs bras disparaissaient sous la masse. La mer attendait. Maintenant qu'elle dominait les rez-de-chaussée, elle espérait qu'on excuse son caprice.

Avec les années, on tenta d'ignorer les cadavres qui resurgissaient, on s'accommoda de l'envahisseur. On disciplina la marée. On créa des canaux, des ponts, des barques. Les humains traitaient la mer avec mépris, ils se pinçaient le nez pour ne pas sentir le sel.

Enfin on oubliale désastre, on pardonna à la mer. On ne pouvait pas la regarder de travers alors qu'elle était à chaque coin de rue. On recommença à se baigner, à jouer entre ses vagues, et la mer frémit de bonheur sous les attentions des humains. Elle appartenait à la cité. On ne la laisserait plus jamais au bord de la ville.

 

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