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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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29 octobre 2015

LE REVE DE ZAWADI - Augusta Barnabee Hakamineza

 

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Zawadi aimait écouter à la radio ce qui se passait ailleurs, entre deux chansons du fond de cette maison triste où elle avait grandi au cœur de son village, une voix sèche attira son attention, il était question d’une liste de gens établie après maintes recherches par le gouvernement. Des personnages considérés comme des génocidaires y étaient cités avec un avis de recherche dont les termes en disaient long sur le sort qui les attendait. L’un d’entre eux lui glaça le sang, de la tête aux pieds… Etait-ce possible ? Etait-ce vrai ? A moins que quelqu’un ait porté le même  nom de famille que le sien. Mais il y avait aussi le prénom : Boniface et il correspondait bel et bien a celui du père.

S’efforçant de ne pas crier ni pleurer, Zawadi se remémora le départ de toute sa famille fuyant le Rwanda et arrivant au Congo. Mais son père… Ce héros, beau, toujours un peu distant de sa mère qui travaillait du soir au matin, mais aimant ses cinq enfants et faisant d’elle, l’aînée, sa préférée. Son père qui, à présent, dormait au petit cimetière  là-bas sous une croix de bois. Quel autre calvaire les attendait maintenant ?

Quand la mère saurait ça ! Hélas !toujours si discrète, la pauvre femme ne dirait rien, d’ailleurs  Zawadi n’avait réussi à s’en faire ni une amie ni une confidente. La mère que tous allaient montrer du doigt, alors qu’elle admirait son courage, son intelligence et surtout sa bravoure. Comment se montrerait-elle encore sur la grande place sans être montrée du doigt, ou sans recevoir une pierre dans le dos ?

A seize  ans, Zawadi ne rêvait que de quitter ce petit village où,  écrite d’avance, la vie des femmes soumises et des mères dévouées était si monotone : élever les enfants, partir aux champs, rentrer préparer le repas et recommencer le jour suivant sans jamais savoir ce qui se passait de l’autres côté de la montagne.

Naître, se marier, obéir, mourir… sans rien connaître des coutumes des autres : non, ce n’était pas pas pour elle ! Elle avait trop rêvé de vivre que sa mère avait mérité !

C’était son secret.

Dans la cour de leur pauvre maisonnée, Zawadi perçut les rires de ses trois petits frères qui jouaient. Que deviendraient-ils eux aussi quand leur  nom de famille serait piétiné qu’on leur cracherait à la figure, qu’on les battrait et les obligerait à renier leur propre papa ?

Leur papa ? Un monstre, un meurtrier, un massacreur de petites gens et de gentils enfants ? Non, il fallait s’excuser, expliquer que ce n’était pas possible, que ce n’était pas vrai. Il fallait que chacun sache que c’était un vrai papa, qu’il ne pouvait y avoir aucun doute à son sujet. Un génocidaire… Qu’est ce que ca veut dire ? On dirait un mot qui n’existe pas…et pourtant il y avait le rêve de Zawadi. Une fille intelligente, toujours la meilleure de la classe et qui parlait très bien le français. Gagner la ville. Apprendre, trouver un métier, être maîtresse d’école et faire la fierté de la mère…

Dans sa tête tout était près. Elle avait même économisé deux billets de banque et quelques pièces de monnaie pour prendre l’autocar. Oui sauf que tout à l’heure, on viendrait cogner à leur porte armés de bâtons.

Dehors la nuit ne tarderait plus à tomber et la liste des génocidaires continuerait de faire le tour de la terre. Et puis, le dos cassé par la labeur, la mère  n’allait plus tarder à revenir du petit champ qui était tout ce que le père lui avait légué. Zawadi pourrait-elle l’embrasser comme si de rien n’était ? Alors que demain peut être, après sa fuite, elle resterait seule à défendre leur honneur ? « La bravoure de maman… » Disait-elle souvent. N’était-ce pas à elle de prendre la relève ? Partir alors que l’on traitait papa de génocidaire ? Dans la pénombre qui s’avançait, la douce Zawadi serra les poings. Puis elle alla chercher ses deux billets et sa monnaie et les glissa dans le porte-monnaie vide de sa maman. Elle partirait plus tard. Elle a mieux à faire en attendant.

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