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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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29 octobre 2015

L’AVEU - Jean-Louis Guth

 

jean-louis guth au centre

Lorsqu’il ouvrit son premier mail de la journée, le commissaire Pringent crut avoir affaire à un spam car il était rare qu’il reçoive une vidéo en pièce jointe. Sa conscience professionnelle l’incita cependant à lire ce fichier intitulé “pour.le.commissaire.mp4“. Un homme au visage dissimulé derrière un masque d’Anonymous apparut dès la première image. Etonné, le commissaire le trouva calme, posé, et supposa que cet homme là avait des infos à révéler. Il s’offrit une grande respiration, comme à chaque fois qu’il souhaitait faire le vide pour affronter plus légèrement la minute d’après.

« Commissaire, avant de prendre une balle signée Poulaga, je voudrais vous demander d’arrêter de faire savoir à la presse des trucs que je ne fais pas, des trucs de petits voyous porteurs de couteaux qui tuent par manque de sang-froid. Mon quotidien est déjà assez difficile pour échapper à vos troupes et braver la loi, les flics, les coffres-forts, les cons d’armuriers et de bijoutiers prêts à nous flinguer pendant notre fuite. Tout ça est lourd à vivre commissaire, alors merci de ne pas en rajouter. »

 

L’homme tire sur le bas de son masque, l’élastique se tend, il maintient son faux visage à distance de sa bouche de telle sorte qu’il s’exprime de manière intelligible. « Moi, quand je crée du fait divers, je fais du rattrapage sur ma vie de merde, avec du lourd, du braquage qui me rapporte quelque chose de grand à moi qui au départ n’était qu’un moins que rien, un gars comme mon pote que j’ai connu lui aussi tout petit. Sauf que lui il l’est resté pour la vie. Il boite, il a de l’asthme, il est un peu crade, mais je suis pas une balance. » L’inconnu s’arrête de parler, laisse retomber le masque sans se découvrir, puis repart de plus belle, en accompagnant ses paroles de mouvements de mains souvent saccadés. « En plus ce qui ne va pas chez mon pote c’est pas qu’il soit pas dégourdi mais c’est surtout qu’il n’est pas humain. Même avec sa nana. D’ailleurs il l’a payé au prix fort. Mais il faut comprendre qu’Il a vécu des mochetés pires que les miennes. En fait on n’a pas vraiment profité des outils de socialisation et d’éducation mis à notre disposition… C’est l’avocat qui m’a dit que l’assistante sociale avait dit ça. Je n’ajouterai rien sinon les journalistes vont encore déblatérer des conneries sur moi. Vous au moins, vous nous respectez, vous savez qui nous sommes ! Et en plus on fait presque le même métier ! »

Alors que l’homme évoquait ce cliché ressassé, le commissaire stoppa la vidéo pour tenter de clarifier cette logorrhée confuse mais empreinte d’une réelle – ou feinte – gentillesse. « S’il pouvait enlever ce masque » se dit-il en respirant un grand bol d’air jusqu’à s’en étourdir. Il fit défiler la vidéo à grande vitesse en espérant découvrir le visage de l’“Anonymous volubilous” comme il le surnommait déjà. En vain. Retour arrière. Pause. Avance rapide. Le commissaire explora en tous sens la vidéo du voyou. Ou du caïd. Ou du truand. Rien n’était encore fixé.

 « Marco il traînait son ennui jusque dans ma bagnole, partout, pire encore que quand on était au squat, et même avec Kat il s’ennuyait. Cherchez pas, c’est des faux prénoms. L’éducatrice de Kat, elle savait que son mec c’était l’ennui et le désœuvrement. “Désœuvrement”, c’est le mot qu’elle a lâché au juge. Ce type-là s’emmerdait à mourir. C’est peut-être pour ça que Kat l’a tué. Je ne sais pas ce que je témoignerai quand on me demandera. Dommage qu’on nous ait pas arrêtés avant. Ça aurait fait un mort en moins. »

L’homme se tait, relâche le masque sur son visage comme à chaque fois qu’il s’arrête de parler… et murmure « en plus c’était mon pote. » L’image se brouille, le clip est terminé.

En apprenant ce meurtre entre paumés, le commissaire sentit pointer une de ces intuitions dont il avait le secret. Une énième grande respiration suivie d’un court appel à son ami journaliste renforça sa conviction. « Ça, c’est le Beau Philou tout craché. » lui répondit le chroniqueur. « Il se présente sous son meilleur jour, il balance un peu par-ci, justifie par-là. C’est tout lui. A mon avis il fatigue, il en a marre de visiter le pays… ». Le vibreur du portable du commissaire interrompit la conversation. Il bascula sur l’autre communication.

« — On a du lourd patron ! Le Beau Philou. Carrément. Et sa nana aussi.

— Vous l’avez arrêté ?

— Bien sûr patron, c’est pas le genre de profil à se livrer. Content ?

— Sûr que c’est lui ?

— On l’a logé cette nuit. Pas difficile, on a eu l’info. Je vous dirai comment. Et le Diego ils l’ont tué.

— Ne touchez à rien, j’arrive. »

 

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