Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
  • Venez découvrir les textes écrits par les stagiaires et les écrivains des Ateliers d’Écriture du Prix du Jeune Écrivain, ainsi que divers témoignages et autres contributions littéraires. Crédit photos : Guy Bernot
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Visiteurs
Depuis la création 44 008
29 octobre 2015

LA GRAND TERRE - Jean-Claude Barbat

 

barbat

                Le vieux Gaston est mort hier. Pas sous la guillotine comme tant de gens l'avaient souhaité en le traitant de monstre il y a dix ans, mais sur son lit de grabataire dans le vieil hôpital de Digne, à deux pas de la prison où, durant des mois, la foule avait hurlé à l'assassin.

Le vieux en avait raconté des salades ! Il avait même fait rire l'assistance lors du procès en se foutant de la gueule du commissaire marseillais qui l'avait harcelé durant l’enquête, un type qui n'avait jamais rien compris au monde paysan disait-il, et qui se baladait sur ses terres dans une traction avant qui rappelait l'époque de la Gestapo.

Il avait raconté tout ce que l'on avait voulu lui faire dire.

Il avait beaucoup parlé mais c'est moi qu'il a fait appeler pour sa dernière confession.

Je le connaissais depuis cinquante ans ; il montait me voir de temps à autre avec ses chèvres au monastère. Nous nous asseyions sur les pierres du cloître et, depuis la colline, nous pouvions apercevoir ses terres. Des terres qu'il avait gagnées après avoir œuvré sur celles de l'abbaye. Sous le ciel bleu de la haute Provence, on découvrait ensemble les collines d'oliviers, de cyprès, les vignes et le village au sommet. Des maisons couleur d'ocre, tassées les unes contre les autres. Un regard sur les Préalpes ; les cimes neigeuses au nord-est, et en bas la Durance, un lit de sable et de galets.

 

C'était un homme rude et franc, travailleur parti de rien, fermier chez les autres, ayant à présent sa terre dont il était si fier, une terre sur laquelle l'aidait son fils Gustave, tandis que Clovis, l’aîné, qui ne voulait pas être le valet de son père, était parti à la ville.

«  C'est ma terre » me disait-il, « Ils l'auront lorsque je serai mort mais pas de mon vivant ». Il était bourru le vieux, mais c'était mon ami et nous nous comprenions, lui le mécréant et moi dernier serviteur de Dieu dans ce monastère en ruines.

Il  me relatait ses peines, ses regrets, ses joies de voir sa famille s'agrandir et je pouvais dire que j'étais celui qui le connaissais le mieux. Pourtant, personne n'est venu me questionner durant l’enquête où j'aurai bien voulu dire à ce commissaire qui soufflait la fumée de son porte-cigarettes au nez de mon ami ! « Laissez ces braves gens tranquilles ! Tiens, on dirait que c'est vous l'assassin commissaire, cela m'étonnerait moins que si on les accusait ».

 

Peu avant sa mort, j'ai laissé parler Gaston. Il ne m'a pas fait de révélations, tout ce qu'il m'a confié, il  l'avait déjà exprimé lors du procès. Il l'avait répété à ceux qui venaient le voir dans sa cellule, sa belle-fille Yvette qui lui fut toujours fidèle, et ce journaliste qui le suivait partout, « Il était comme mon chien Dick » disait-il, « Il me racontait des histoires trop compliquées pour moi, des histoires d'agents secrets qui se seraient donné rendez-vous sur ma grand' terre. Ils ne pouvaient pas aller se faire tuer ailleurs ces Anglais ? Allons bon, moi je n’écrivais pas un roman, ce que j'ai dit, c'était pour sauver Gustave. Je n'allai pas laisser mon enfant se noyer ; lors de son arrestation, il était plus photographié que la reine d’Angleterre ! Si je n'avais pas dit que c'était moi, ils lui auraient tranché la tête. Mettre Yvette en prison et le petit à la rue comme un misérable, pensez donc !  Alors, qui serait allé récolter les olives ? Et les abricots ? »

Ce qu'il m'a avoué n'était pas une confession, il exprimait ses états d’âme. Je ne suis pas lié par le secret. Il me confirmait ce que je savais déjà.

« J'ai dit que j'avais agi tout seul, sans donner d'explications. Le coupable, si ce n'était pas moi c'était mon fils, tu crois que ça me faisait plaisir à moi ?

Gustave, il a tété sa mère jusqu'à ses quatre ans ; comment veux-tu faire un homme avec ça ! J'ai avoué pour sauver ma famille et il m'a accusé, poussé par son frère trop impatient qui lui avait monté la tête parce que je n'étais pas allé le voir en prison, mais tu crois que ça lui aurait fait plaisir de voir son père pleurer ? Le flic de Marseille, il m'a fait dire toute sa paillardise, que j'avais abusé de l'anglaise, tu te rends compte l'abbé ? Moi qui n'ai jamais fait de mal à une mouche en soixante-quinze ans, qui n'ai jamais giflé mes enfants. En tous des cas, je me suis bien foutu de leur gueule à la reconstitution. Et puis, qu'on me fasse dire que j'en avais tué deux passe encore, mais pas la petite ».

 

Je me rappelle ses interventions lors du procès, « Et toi commissaire, tu te souviens de ce que tu as fait ce soir-là ! », toutes ces sorties qui soulevèrent les rigolades du public mais qui ne touchèrent  pas les jurés. Je me souviens de ce qu'il a enduré ; des crachats à la sortie du tribunal, des inscriptions qui se placardaient dans son village de Lurs ; L'URSS = Domine ici, mais aussi de la lecture orale des  Misérables qu'il me réclamait  lorsque j'allai lui rendre visite dans sa cellule.

Son petit-fils Alain est venu le voir ; il a treize ans et ne connaissait de son grand-père que l'homme cassé en deux sur sa canne, la casquette vissée sur le crane, qui lui demandait des nouvelles de ses chèvres, » C'est toi qui t'en occupes à présent de mes chèvres ? Et mon chien, c'est qui ? Ce couillon de commissaire me l'avait promis mon chien, mais c'est comme mes fils, je ne les jamais vu à la  prison. Tout cela, c'était encore des mensonges. Tu sais Alain » poursuivait-il en bourrant sa pipe, « Si on te fait des misères à l'école parce que tu t'appelles Dominici, laisse les dire. Je n'ai jamais cru au bon dieu du père Lorenzi, mais lui m'a toujours considéré comme un honnête homme, ton oncle Clovis est mort, c'est le remords qui l'a tué, va t'occuper des chèvres mon p'tit gars, elles ne savent pas mentir.». « T'inquiète pas pépé, quand je serai grand, elles et moi on fera éclater la vérité ».

Publicité
Commentaires
Publicité
Publicité