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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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  • Venez découvrir les textes écrits par les stagiaires et les écrivains des Ateliers d’Écriture du Prix du Jeune Écrivain, ainsi que divers témoignages et autres contributions littéraires. Crédit photos : Guy Bernot
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29 octobre 2015

MARCHE À L’OMBRE - Catherine d'Anjou

 

catherine d'anjou

Mes ongles sont vernis, ma coiffure lissée, mon maquillage impeccable. J’en suis à cueillir les poussières sur le bas de ma robe. J’éteins la radio de la voiture, pour faire taire Renaud. À la recherche d’une quelconque source de stimulation intellectuelle, j’essaie de lister nos cambriolages. Un gloussement déride mes lèvres pincées. Nos cambriolages, ah !

Qu’est-ce que tu attends pour sortir de la maison du millionnaire mon amour ? Ce n’est quand même pas la première fois, tu pilles les riches depuis quatre ans ! J’en peux plus de patienter, moi, et les poussières commencent à manquer sur ma robe.

Je fixe la large porte d’entrée du domaine. Je t’imagine déjà la pousser avant de te mettre à marcher tranquillement vers la voiture. Tu t’assoiras à ma droite et ouvriras la main sur le trésor que tu as déniché pour ta princesse. Ta princesse. Avant chaque vol, tu me chuchotes ces mots à l’oreille. Désolée mon cœur, mais j’aurais préféré être ta flamme et ta partenaire. J’aurais voulu crocheter des serrures. Tu aurais dû m’apprendre à voler. À faire comme toi. On aurait pu boire leur champagne, échanger des clins d’œil en éclatant les carreaux de leurs jolies fenêtres, et baiser sur les comptoirs.

Que m’offriras-tu aujourd’hui ? Une montre ? Une bague ? Non, je parie que tu me donneras d’éblouissantes boucles d’oreilles serties de je ne sais quelle pierre précieuse. Tu es mignon, tu crois que tu peux m’acheter et qu’un bijou bien brillant suffira à me garder immobile. Désolée de te décevoir, mais je n’en ai rien à faire non plus de tes voyages et de tes restaurants. Tu aurais dû deviner. Je veux vivre de passions incroyables et de scénarios impossibles. À la place, tu m’as installée, docile, derrière le volant. Tu as dit : attends-moi ici.

 

Ah. Tiens. Une caméra de surveillance.

 

Tu as le beau rôle, non ? Tu entres par effraction dans leur maison de privilégiée, tu désactives le système d’alarme, parce que toi tu en connais le fonctionnement, n’est-ce pas chéri ? Tu fouilles les recoins des salons, des boudoirs, des cuisines et des chambres à la recherche de bijoux, de coffres-forts secrets. Tu te fais les poches, tu manges leur chocolat. Sauf que tu n’as pas pensé à tout. Tu n’as pas pensé à la plaque d’immatriculation. Tu n’as surtout pas pensé à moi. Je suis la plus grande faille de ton plan, mon amour.

En un tour de clef, la Mercedes démarre. Je la déplace de deux petits mètres, juste assez pour que tu ne le remarques pas ; juste assez pour que la voiture s’insinue dans l’angle de la caméra. Je souris, descends la fenêtre, et exhibe le large collier d’argent à mon cou, gracieuseté de ta dernière aventure. Je tire le frein à main, comme tu m’as toujours interdit de le faire.

 

J’en peux plus de t’attendre.

 

Mon coup à moi, je l’exécute aujourd’hui. Tu verras. Mon cœur m’explosera la poitrine. Le sang affluera dans mon corps, la sueur coulera dans mon dos. J’aurai peur jusqu’à en rire.

Je déterre, sous les papiers de bonbons que je mange compulsivement, l’un de nos multiples portables. On tend à l’oublier, mais le numéro de la police se compose aisément lorsque la situation s’y prête :

 

— Bonjour, je vous recommande de mettre la main sur l’enregistrement de la caméra de surveillance du 800 rue de la Corniche, et d’envoyer quelques policiers dans le coin, mon mari cambriole actuellement leur voisin. Je vous souhaite une excellente journée. À bientôt.

 

Je savoure l’adrénaline qui m’envahit pendant que tu t’approches de la Mercedes. Lorsque la portière claque, je mords ma lèvre du bas avec délice. Tu crois sans doute que je trépigne à l’idée de voir ce que tu vas m’offrir, non ? Tu me dis de démarrer alors que, les yeux rieurs, tu t’apprêtes à ouvrir la main. C’est bête, je ne trouve plus les clefs.

Le couvercle du boîtier de velours se ferme dans un bruit sec alors que tu remarques finalement le frein à main. Tu en as pris du temps mon cœur.

Ils viendront te chercher. Ils m’embarqueront aussi. Sauf que moi, je sais ce qui m’arrivera, en prison, ils nous sépareront. D’ailleurs, ils ne me colleront qu’une courte peine. Après tout, je ne faisais que t’attendre dans la voiture, n’est-ce pas mon bel amour ?

 

            Au revoir mon chéri.

            Je t’aime, mais plus assez.

 

            Casse-toi, tu pues.

            Et marche à l’ombre.

 

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