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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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  • Venez découvrir les textes écrits par les stagiaires et les écrivains des Ateliers d’Écriture du Prix du Jeune Écrivain, ainsi que divers témoignages et autres contributions littéraires. Crédit photos : Guy Bernot
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29 octobre 2015

92 F - Paul Moracchini

 

DSC_3428 (Copier)

J'ai tiré les rideaux, je ne voudrais pas que les voisins nous voient, ils ne comprendraient pas. Et ça jase au village. On me traiterait de fou, peut-être pire encore.

Il est beau. Non, il est magnifique, superbe. La lumière rousse de ma lampe de chevet sublime son corps d'ébène. La chambre est irradiée d'une chaleur rassurante, les rayons d'or lèchent les courbes de ses formes nues. Installés sur mon lit d'acajou, de l'huile aux creux des mains, j'ai massé ses lignes racées. Parfum de musc, de bois ciré : ces moments-là sont à nous seuls, à l'écart du monde. C'est notre parenthèse avant l'entrée en scène. Je contemple sa cambrure, et le tourne vers moi. Mon regard plonge dans la nuit de son œil ouvert, unique et vide. Face à face : deux néants s'embrassent. Il est déjà 20 heures, pas le temps de dîner. Nous avons rendez-vous au théâtre.

A présent mes doigts fébriles frôlent son âme sans oser la pénétrer. J'ai de la vénération pour cette morphologie idéale. Un dernier regard, et mon désir déborde. J'ai mon holster de cuir fixé à la poitrine. Il se glisse contre mes côtés dans ce qui sera notre dernière étreinte. J'enfile une chemise noire. Ce soir je raccroche, je l'abandonne, ensuite chacun son chemin. Je sens son corps contre mon torse, j'en ai l'habitude mais ce soir il me parait plus froid. Il sait sûrement que quelque chose se prépare. Cette toilette méticuleuse, ces soins intimes, ces caresses. Son métal est glacé : Beretta 92FS-B. B comme Brigadier. 9 mm. Mon calibre favori, loin du raffut racoleur et miso du 357 Magnum de l'inspecteur Harry. Mais il fera tout aussi bien le boulot. Il attend ça depuis des mois. Il est prêt. Nous sommes prêts.

Je marche, droit comme un plan de vignes. Les rues de la citadelle sont un canal dont je remonte le cours jusqu'à ma proie. Je descends des rapides en évitant les piétons agglutinés, traverse les grandes vasques et contournent les scooters bondissants comme des bancs de saumons.

J'ai repéré ma cible, j'éprouve une telle aversion envers elle que le simple fait de l'apercevoir me soulève le cœur. Malgré la douceur de l'hiver ajaccien, je transpire, et la brise de février ne peut rien y changer. B aussi s'est réchauffé contre mon flanc ruisselant, il bouillonne en dedans. L'homme, ma cible, évolue à quelques mètres devant moi et l'écho de ses pas retentit sur le pavé de la cité impériale. Il avance doucement, comme un petit monarque fatigué. L'avenue devient rue, puis se resserre encore, la ruelle s'assombrit. Le goulot de l'entonnoir se referme, mon vol de grand busard vient soudain le couvrir. Il est pris maintenant. Je le surplombe tout à fait. Voilà notre théâtre, et je vous en promets, de grandes effusions à la grande lumière. B s'arrache à mon sein, et déchire ma chemise. J'exulte. L'homme m'offre sa nuque.

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