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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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5 octobre 2016

Lianes - Bernard Baune

DSC_5224 Bernard Baune

Il jeta sur le lit défait un regard plein de colère et de dégoût.

«Comme d’habitude» songea-t-il mais la violence de sa réaction le surprit comme si, avec le temps, cette image de draps froissés et de désordre lui devenait de plus en plus insupportable.

Après qu’il eut repris un peu de contrôle sur lui-même, il décida de ne pas ranger la chambre et redescendit au salon. Un couloir d’une longueur harassante conduisait vers des escaliers vivement éclairés et la crudité de la lumière l’attira. Une marche, puis l’autre, et il se retrouva dans le salon où les rayons du soleil étalaient en nappes blondes la chaleur du mois de Juin.

Il alla prendre une tasse de café et s’installa face aux baies vitrées qui s’ouvraient vers le jardin. Que faire ?

Il n’y avait qu’une solution, qui le répugnait plus que tout, mais il devait s’y résoudre : il devait refaire ce lit sinon les plis de ces tissus en désordre étendraient leur menace partout, comme les lianes d’une jungle ensorcelée.

Il remonta et, pendant quelques minutes, il accomplit les gestes machinaux qu’il avait à faire puis il eut l’impression que sa mère était dans son dos et l’observait avec ce regard implacable qui se fichait entre ses épaules comme un poignard. Elle n’avait pas besoin de parler, il savait ce qu’elle avait en tête : pas comme ça, ce n’est pas droit, ce n’est pas régulier, recommence, recommence ! Il se retourna, personne, bien sûr, ne le regardait, alors il frémit sous l’effet d’une nausée naissante et s’enfuit.

Cette fois il ne s’arrêta pas dans le salon mais courut dans le jardin, près de l’étang.

«Comment se débarrasser de tout ça ?» se dit-il avec une sourde colère.

A vrai dire, où qu’il aille, la même question revenait sans cesse et, avec elle, ce sentiment qu’une menace éternelle pesait sur lui. Au début de ses crises, il pensait qu’il avait eu une enfance plutôt préservée ; désormais, il savait que même alors le soleil n’était pas un vrai soleil, que le ciel n’était pas un vrai ciel. La seule différence, quand il était enfant, c’était qu’il suffisait de croire aux mensonges des autres pour oublier la peur.

Aujourd’hui plus moyen d’y croire, plus moyen de faire semblant et il savait que partout où il irait, toujours, il y aurait des lits et des draps en désordre, des chambres qu’une voix venue de sa mémoire lui ordonnerait de ranger, encore et encore.

Le soleil, sur son visage se fit doux. Il fut surpris par ce contact, qu’il n’attendait pas et il leva les yeux. Son regard s’accrocha alors aux saules qui l’entouraient : leurs rameaux caressaient l’eau, la ridant de dessins irréguliers puis, soudain, le vent s’arrêta et la surface de l’étang devint lisse, plate, sans l’ombre d’un pli : un lit parfait, un lit dans lequel il suffisait de se glisser, sans se soucier de quoi que ce soit. Un lit où l’on pouvait dormir, enfin.

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