Vladim - Noëlla Richard

En face de lui, l’homme était un imbécile qui s’ignorait. La pire espèce. La plus commune en somme. Apposant la dernière touche de peinture sur son autoportrait, Vladim ressentit le vide en lui. Le poids de son âge. Un creux dans son ventre qu’il n’avait jamais réussi à combler. Cette douleur qui apparaissait soudainement le jour et s’éternisait dans son sommeil. Il n’avait jamais trouvé le bouton à coudre pour cette plaie qui rongeait son existence depuis tant d’années.

Quelques détails de ce jour où il souffla ses sept bougies lui revinrent en mémoire. Tel ce petit clown en cire au milieu d’un gâteau au chocolat sans saveur que lui avait préparé Martine, sa mère adoptive. Et Patrick, son soi-disant père qui restait toujours sans voix quand on lui demandait son avis. Depuis son enfance, grandir était pour Vladim un voyage sur une épave. Il se sentait naufragé au milieu de l’humanité.

Assis sur le tabouret en bois que lui avait donné la voisine en échange d’un peu de tendresse, il redressa la tête vers l’unique fenêtre de sa chambre, la sœur-jumelle qu’il n’a jamais connue. La seule qui pouvait rester des heures à l’observer, à lui sourire de temps en temps et à donner la perspective qui manquait à ses tableaux. Ses cactus aussi, posés sur le rebord du radiateur fixé sur le mur près du lit, l’accompagnaient dans sa solitude. Il les avait baptisés : Osiris, Isis et Anubis. Vladim prenait le temps chaque matin de se lever entre deux coups de pinceau, d’aller chercher sur l’étagère de sa salle de bain le pulvérisateur en forme de poire qui amusait tant Marie, la femme de ménage, et de les rafraichir d’une eau minérale qu’il prenait plaisir à boire par temps d’orage.

A ses pieds, Mimi, la chatte noire, les oreilles pointées vers l’arrière, dormait en boule dans un panier en osier. Sa queue frôla les orteils de Vladim qui se mit à bailler. Il s’étira, puis centrant son regard sur le vieillard qu’il venait de passer au peigne fin, il souffla. Toutes ces années passées à peindre pour ce résultat. Quel amateur il faisait. Quel idiot surtout. Il se sentait tellement mou dans son corps et vide d’intérêt. Le dos courbé, il déposa les pieds au sol en faisant glisser le tabouret derrière lui et décrocha sa montre en cuir qu’il laissa tomber sur le tapis parsemé de miettes de pain. Des morceaux de biscottes et un bout de gruyère nourrissaient à eux seuls les mouches du quartier.

Vladim se dirigea vers la salle de bain, abandonnant derrière lui deux chaussons orphelins. Ce vieil appartement des années 50, il l’adorait. L’intérieur ressemblait à une partition de Chostakovitch. Ce concerto en La mineur, qui le faisait vibrer comme la corde d’un violon. Sur sa gauche près du lavabo, il distingua la photo en noir et blanc de son père encadrée de coquillages d’Etretat.

Vladim rinça son visage à grande eau et sentit les pores de sa peau se dilater sous l’effet de la chaleur. Cette sensation lui procurait toujours un plaisir immense, incomparable. Ça lui faisait le même effet quand il plongeait le pinceau entre deux danses colorées dans le gobelet en verre qu’il posait toujours près de lui. Ce petit pot de yaourt à la vanille lavé qui nourrissait son imaginaire au quotidien.

Il prit la serviette rose pliée en deux sur le rebord de l’évier, et s’essuya. Dans la glace, Son nez lui semblait plus gros que celui qu’il venait de peindre. Sa tête aussi était légèrement gonflée. Il se sourit. Devant lui, ce n’était plus l’imbécile qui s’ignorait mais bien Vladim. L’homme qui s’était ignoré.

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