Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
  • Venez découvrir les textes écrits par les stagiaires et les écrivains des Ateliers d’Écriture du Prix du Jeune Écrivain, ainsi que divers témoignages et autres contributions littéraires. Crédit photos : Guy Bernot
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Visiteurs
Depuis la création 44 008
30 octobre 2015

UN JOUR REVE POUR PARLER AUX ARBRES - Benjamin Pernot

 

benjamin pernot

Il venait d’avoir 10 ans. C’est alors que le jeune B commença réellement sa descente aux enfers qui allait le mener à l’isolement et à son enfermement intérieur. En classe de CM1 depuis septembre 2008, il se retirait progressivement du monde réel, comme le soleil qui se couche pour laisser place à la nuit. Une nuit qui pour lui s’annonçait déjà pénible.

 Durant les récréations, il s’installait souvent près d’un tronc d’arbre pour passer sa solitude. Mais il lui arrivait aussi d’être obligé d’entrer en contact avec ses camarades pour exécuter leurs désirs dans l’espoir qu’ils lui prêtent les cours qu’il n’avait pas fini de copier. Ils le faisaient souvent courir, ils l’humiliaient sous le regard hilare d’autres élèves, permettant ainsi de leur faire développer leurs muscles zygomatiques.

A la fin de son CM2, ces situations continuaient à se répéter. Un jour, le professeur annonça à toute la classe qu’aucun redoublement n’était prévu cette année, au grand désespoir de B qui espérait redoubler malgré ses bons résultats pour ne pas plonger si tôt dans le monde du collège. Il fondit en larmes en annonçant la nouvelle à ses parents décontenancés. Seuls les bras de sa tante le consolaient, angoissé déjà de rentrer dans ce nouveau monde.

            Deux mois plus tard ce fut l’entrée au collège Daniel Tammet. Sa mère et son frère qui avait également fait ses études là-bas, accompagnèrent B pour son entrée dans ce nouvel établissement, lieu de savoir. Le portail était gardé par des surveillants, pareils à des cerbères filtrant à l’entrée, empêchant quiconque de sortir de cette enceinte.

En partant pour le collège le matin, ses parents lui avaient plusieurs fois répété de ne pas se faire remarquer en reproduisant ses comportements, qui déjà au primaire paraissaient inadaptés. Pourtant lorsque, dans la cour de récréation, B croisa le CPE du collège, M. Horiot, il lui fit une révérence, s’agenouillant presque devant lui. Le soir même, ses parents furent interpellés aux grilles de l’établissement par le CPE qui leur évoqua l’attitude surprenante de leur fils.

Ses parents ne prirent pas vraiment la mesure de la remarque, mettant cela sur le compte du coté théâtral  de B.

Mais son comportement ne cessa de se dégrader progressivement. Il jouait comme un enfant au milieu de la cour, chantait des chansons devant un public fidèle, d’élèves plus grands et fut très vite connu dans tout le collège. Sa réputation commença à en prendre un coup, on le traitait de fou. Cette image se confirmait un peu plus chaque jour.

Au début d’un cours de français par exemple, l’un de ses camarades, Hugo, assit à côté de lui, remarqua vite l’étrange attitude de B. Penché au-dessus de sa table, il avait les doigts en forme de téléphone : l’index collé contre son oreille et l’auriculaire contre sa bouche. Sentant que son camarade l’observait, B prononça suffisamment fort pour qu’Hugo entende : « Je te laisse, on continuera à la récré, on a été repéré !» Lorsqu’il fit semblant de raccrocher, son ami éclata de rire et son professeur, madame Lefèvre, qui avait assisté à la scène, demanda un rendez-vous avec les parents de B.

A la suite de cette convocation, il avait été décidé entre les adultes qu’on ferait l’annonce à toute la classe du coté dyspraxique de B. Ainsi avait commencé la descente aux enfers.

Cette révélation qui devait servir à arranger la situation ne fit que l’aggraver et les conséquences pour lui n’en furent que plus pénibles. Un jour, il prit un caillou dans la tête, un autre on lui fit un croche-patte dans les escaliers, un autre encore on lui vola des affaire dans son cartable. Parallèlement à ces mauvais traitements à répétition qu’il se gardait bien de révéler à ses parents, il devait suivre de son côté une série d’examens, allant presque chaque semaine dans les cliniques pour trouver pourquoi il était si « bizarre ».

Ce ne fut qu’a la fin de cette année pénible que l’on découvrit, grâce à un médecin spécialisé dans les TED (troubles envahissants du développement) que B souffrait en réalité du syndrome d’Asperger ou autisme génie. Les personnes qui sont atteintes de ce syndrome, contrairement aux autres autistes qui sont plutôt introvertis, peuvent parler mais ne comprennent pas assez les interactions sociales pour créer des vraies relations et pouvoir ainsi avoir de véritables copains.

L’année suivante ne se déroula pas mieux. Les enfants qui entraient dans leur adolescence devenaient de plus en plus immatures et moqueries et insultes commençaient à voler. On lui prédit même qu’il irait en enfer car il était con et que ce sont les cons qui vont en enfer.

C’est peut-être pour échapper à leurs moqueries, mais par peur aussi, que le jeune B cherchait à s’écarter de ce monde enfantin et allait chercher le contact avec les adultes. Il parlait souvent de littérature et de poésie avec ses professeurs et les surveillants qu’il agaçait quelquefois, las de sa conversation.

Mais cela n’empêchait pas ses camarades de continuer à se moquer de lui car il ne savait pas faire des gestes élémentaires. Ils répétaient souvent des phrases comme : « Ah ! Le débile, il ne sait pas faire ses lacets et ne sait pas monter sur un vélo » avant d’éclater littéralement de rire. Alors il chercha progressivement à s’éloigner du monde des humains, et commença à parler aux arbres. Pour lui, seuls les arbres savent écouter, sans juger et sont toujours là quand on en a besoin. B leur racontait ses malheurs, leur faisait part de sa tristesse et de sa mélancolie et les mouillait de ses larmes. Il souffrait de cette solitude et ces maux qui le rongeaient de l’intérieur. B avait envie de hurler tout ce qu’il avait sur le cœur, de hurler, hurler, hurler…. Mais aucun cri ne pouvait sortir et il avait la nausée de cette affreuse vie.

L’année suivante, il rentra en quatrième et ce fut même en dehors du collège que les persécutions continuèrent.

Un jour, alors qu’il sortait de cours et qu’il rentrait chez lui, des camarades de classes arrivèrent au coin d’une rue et le plaquèrent contre un mur. B se débattit, terrifié, recevant des claques et des coups au ventre. Après cinq minutes qui lui parurent une éternité et où avait alterné des phases d’étranglement et de bastonnade, ils lui rendirent sa liberté.  B rentra chez lui, la peur au ventre de retourner le lendemain dans cet établissement, aux grands murs, semblables à une prison.

Il allait souvent au CDI, pour chercher la paix et retrouver ses amis de papiers. B se plongeait dans des lectures difficiles, comme Le Journal d’Anne Frank par exemple dans lequel la jeune héroïne souffrait elle aussi. En lisant, il sentait la détresse de cette jeune juive qui n’eut dans la vie que des malheurs et des souffrances. Comprenant que son propre mal-être n’était pas à la hauteur de ce qu’avait vécu la jeune Anne, il trouvait cependant en elle, comme une sœur dans le malheur. Il lisait aussi l’Attrape cœur et son héros révolté qui fuguait, ou encore Candide, jeune enfant naïf devant la réalité d’un monde décevant. Il empruntait ces livres et les lisait dans la cour de récréation, alors que ses autres camarades jouaient au football ou terrorisaient les plus petits.

Devant tant d’agressivité et d’injustice, B décida de se venger. Cela tomba la première fois sur le dénommé Alexandre Bardou. Lors d’une séance obligatoire au CDI, ce dernier tournait autour de lui l’empêchant de mener à bien son travail. N’ayant plus rien à perdre, lorsqu’il lui demanda gentiment de lui prêter une feuille il l’insulta : « Va te faire… ». La documentaliste qui se trouvait derrière lui, avait entendu l’insulte et sanctionna notre jeune ami, qui même en voulant se défendre était encore une victime.

La deuxième fois, la vengeance se retourna encore contre B. En effet, à l’annonce par le proviseur adjoint en visite dans la classe, annonçant le départ d’un élève perturbateur, B ne put s’empêcher de crier haut et fort « yes ». Sa réaction maladroite lui valut un mot aux parents. 

Un jour enfin, il décida de répondre physiquement à un de ses camarades qui le coinça dans un coin isolé de la cour. Là encore, il ne fut pas épargner par la sanction.

Décidément, qu’il est difficile de se venger quand ce n’est pas dans sa nature et qu’on a été élevé dans le respect des autres !

Bien sûr, à chaque fois, il se fit disputer par ses parents. Mais il s’en fichait, il avait chaque fois obtenu un semblant de vengeance et il pouvait à présent partir en paix. Dans ses recherches sur le net, il était tombé sur une chanson française des années quatre-vingt du célèbre chanteur Michel Sardou. Il avait écouté les paroles de cette chanson Je Vole « mes chers parents je pars, je vous aime mais je pars…» qui semblaient, raconter la fugue d’un adolescent déboussolé. Mais pour lui, et il avait raison, le sens portait plus loin, les paroles portaient un message qu’il comprenait, celui du suicide qui faisait écho en lui.

Il avait décidé de se suicider, mais après avoir passé ses épreuves de brevet. Ainsi, à la sortie de l’examen, au lieu de partir en direction du portail il prit les escaliers et monta les quatre étages de l’établissement. Pendant son ascension, il se souvint d’un roman graphique qu’il avait lu, L’art de voler, où un vieil homme se défenestre et voit, durant sa chute, sa vie entière défiler devant lui. Il arriva enfin au quatrième étage, et ouvrit sans bruit une fenêtre : « C’est l’heure, dit-il, l’heure de voler ». Il enjamba le rebord, s’assit, regardant le vide, il souri et se laissa tomber.

La chute fut lente. B eut le temps de revoir tout ceux qu’il aimait, de pardonner à tous ses médecins qui l’avaient tellement démoralisé, de haïr encore plus tous ses camarades avant de s’écraser sans bruit sur le sol, le sourire aux lèvres, heureux de quitter cette atroce vie.

Tout devint noir devant ses yeux, il n’entendait plus rien, il ne sentait plus rien, c’est comme s’il était mort.

Cependant, il entendit soudain une douce musique, accompagné de douces voix enfantines. Un générique !

Six heures, neuf heures trente

Sur Virgin Radio, c’est Camille Combal,

Virgin Tonic, Virgin Tonic

 Il ouvrit alors les yeux, sortit de son cauchemar, regarda clairement les alentours et remarqua qu’il était couché dans son lit. C’est à cet instant qu’il se souvint de tout : il était en seconde, avait maintenant des amis et avait enfin retrouvé le bonheur d’une vie paisible.

 

Wikipédia- Je vole (chanson)

Je vole  est une chanson de Michel Sardou, sortie en 1978 et parue sur l'album du même nom dont elle est le premier single.

Elle évoque le suicide d'un adolescent comme l'évoque Michel Sardou dans son autobiographie :

« C'est comme Je vole, ce n'est pas un enfant qui se tire c'est un enfant qui se tue »1.

 

Publicité
Commentaires
Publicité
Publicité