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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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  • Venez découvrir les textes écrits par les stagiaires et les écrivains des Ateliers d’Écriture du Prix du Jeune Écrivain, ainsi que divers témoignages et autres contributions littéraires. Crédit photos : Guy Bernot
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30 octobre 2015

N’IMPORTE QUOI ! - Nathanaëlle Tanguy

 

DSC_4318 (Copier)

C’est le mois d’avril. L’hiver n’en finit pas cette année. Il gèle à pierre fendre comme dit Pépé. Il délire complet ! Moi,  je n’en ai jamais vu des cailloux qui explosent. Mémé n’arrête pas de répéter qu’il ne faut pas que je me découvre d’un fil. Lorsque je sors, elle me tend toujours une petite laine. ça sent une odeur bizarre et surtout ça gratte comme la couverture de mon lit.

« Tu t’embêtes comme un rat mort » qu’il me dit mon Pépé. C’est vrai qu’on doit s’ennuyer dur quand on est mort, vu qu’on n’a plus rien à faire. Moi je suis vivant et pourtant  je m’enquiquine! Je ne peux pas pêcher avec les copains, taquiner le goujon comme dit mon pépé. Alors on reste sur la place du village à discuter ou à faire des dérapages avec nos vieux clous. On se prend des gadins, qui obligent Mémé à enlever à la pince à épiler les graviers plantés dans mes genoux.

Pépé, il ne sort plus de la maison. Il ne lit même plus le journal et n’utilise plus les vieux numéros pour démarrer le feu de cheminée. C’est Mémé qui se charge de l’opération car il a la tremblote. ça le fait râler. Il répète sans cesse qu’il va bientôt sucrer les fraises. En plein mois d’avril, c’est quoi ce délire ? Y’en a pas encore à ramasser au jardin ! Et puis, c’est Mémé qui les sucre pour qu’elles rendent du jus que j’aspire du bord de l’assiette. Pépé y dit que je fais chabrot, comme lui quand il rajoute du vin dans sa soupe.

Ce matin, je me retrouve en tête à tête avec Pépé. Il est assis au coin du feu, dans son fauteuil devenu bien trop large pour lui. D’habitude, il me raconte toujours des blagues de toto, ou on joue à « pince mi et pince moi » ou encore à « je te tiens, tu me tiens par la barbichette ». Je le vois hocher la tête et répéter qu’il va bientôt casser sa pipe. Quelle idée ! Moi qui l’aide à la curer et à la bourrer, je ne la trouve pas fendue sa pipe.

Depuis quelques jours, on me tient à l’écart. Je ne vois plus mon Pépé. Une infirmière passe matin, midi et soir. Maman est descendue de Paris. Elle a pas trop le temps de s’occuper de moi. Les jours passent, tous semblables et bien tristes.

Une nuit, je colle mon oreille à la porte de la chambre de Pépé et Mémé. J’entends pépé, entre deux râles, cracher qu’il va bientôt manger les pissenlits par la racine. Alors là, c’est le pompon ! des pissenlits déjà y’en a pas non plus en cette saison, et une racine … c’est juste bon pour les taupes ! je crois qu’il devient toc toc mon pépé.

Mon Pépé, il est mort ce matin. Il habite au Paradis avec Zita, sa chienne bien aimée tuée par un sanglier un jour de battue. Un jour j’irai moi aussi, c’est ce que m’ont appris les dames au catéchisme cette année.

Maman et Mémé me disent que je vais aller voir Pépé une dernière fois. Pour lui dire adieu. Faut que je sois fort. Il est allongé sur le lit, une croix et un brin de lavande entre les mains repliées sur sa poitrine. Comme Maman, je l’embrasse sur le front. Il est tout froid comme le bâton de glace qu’on m’achète à la fête foraine. Je sens mes joues chauffer. Tu es rouge comme une tomate qu’il m’aurait dit mon Pépé.

En trombe, je sors dans la rue…. Et je me tords de rire car il porte des chaussettes trouées.

***

J’ai attrapé le train de nuit. Une folle envie de retourner au pays.  Avec cette vieille rombière qui ronflait, je n’ai pas trouvé le sommeil sur mon siège inclinable. Sous la lumière vacillante, j’ai passé mon temps à l’examiner sous toutes les coutures, distinguant ses poils dans les narines, ses sourcils ombrageux, son nez crochu.

Le soleil est déjà haut lorsque j’arrive aux Baux de Provence. Personne ne m’attend, je n’ai plus de famille ici.

Sur le chemin qui mène au Mas, les cigales sont muettes. Je me souviens de l’atelier d’ébéniste de mon Pépé. Un bouquet de lavande s’y desséchait mais embaumait, s’entremêlant avec des essences venues d’ailleurs.

Il possédait un savoir inégalé pour ciseler les meubles. Comme les dentelles de Montmirail où nous allions parfois pique-niquer le week-end avec lui et Mémé.

Je continue mon ascension sur le sentier poussiéreux et chaotique. Je passe devant le lavoir. Réminiscence du passé. Chaque début d’après-midi, je partais sans mot dire, dissimulant dans le panier de mon vélo une serviette de bain. J’y restais jusqu’au soir à tremper, nager. Un régal, surtout sous la cagna. C’était ma piscine. La vieille Alphonsine, la voisine, m’avait un jour démasqué et vendu auprès de ma grand-mère. Cette dernière m’avait houspillé, et malgré ses jambes arquées qui la portaient de moins en moins, elle m’avait pourchassé avec sa badine, faite de branches coupées sur le saule du jardin. Une inénarrable course poursuite. Le lendemain, alors que toute la maisonnée était encore endormie, j’avais massacré l’arbre à triques à grands coups de sécateur. Souvenirs.

Le Mas se découpe au loin. Encore bien un kilomètre et j’atteindrai le but. A grosses gouttes, je mouille mon costume de ville. Je me traîne. Mes foulées ne sont plus longues et rapides comme lorsque j’étais petit garçon.

Epuisé, je m’arrête net. Je m’allonge sous l’ombre d’un olivier. Je ferme les yeux. Je m’assoupis et rêve aux chaussettes trouées de mon Pépé.

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