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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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  • Venez découvrir les textes écrits par les stagiaires et les écrivains des Ateliers d’Écriture du Prix du Jeune Écrivain, ainsi que divers témoignages et autres contributions littéraires. Crédit photos : Guy Bernot
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30 octobre 2015

TU RÊVES ANITA - Eléonore Sibourg

 

eleonore sibourg

Anita posa son sac de voyage sur la banquette étroite de leur cabine. Son copain était resté dans le couloir pour inspecter les toilettes et surtout vérifier la qualité du papier. Elle resserra sa queue de cheval brune en s’approchant du hublot. Le grouillement du port s’éloignait. Elle disait adieu à la horde des touristes moites. Enfin !

À vingt ans, c’était son premier voyage en mer. Elle rêvait, depuis le jour où elle avait reçu ces deux billets, à un capitaine fier comme Achab maniant la barre, à des îles esseulées exposant leurs merveilles au soleil, au spectacle des dauphins se jetant dans la lumière du ciel.

Les passagers se réunirent à quinze heures pour le discours du commandant. Lorsqu’il entra, applaudi par l’assistance, Anita eut l’image d’un animateur de shows américains à la peau orange, adepte des salles de gym, s’épanouissant uniquement sous les projecteurs. Elle grimaça quand elle s’aperçut que, même en parlant, son sourire extra-large ne le quittait pas. Ca n’était définitivement pas Achab. Encore moins Corto Maltese. Voyant que son copain Léopold mitraillait, admiratif, ce marin de plastique, Anita s’éclipsa pour aller se confronter à la mer. Au sortir du restaurant, elle manqua d’être renversée par un train de marmaille qui allait à grande vitesse, piaillant et laissant derrière lui un nuage de biscuits en miettes.

Accoudée au bastingage, Anita respira l’air salin en paix. La trêve ne devait durer que jusqu’à la fin du discours car soudain, un banc de passagers débarqua sur le pont. Les shorts et les débardeurs volèrent, libérant des corps suants La colonisation des transats commença. Sardines et cachalots bien alignés cuisaient maintenant au soleil. En matière de monstres marins, ce n’était vraiment pas le spectacle qu’elle avait espéré. Elle soupira en apercevant Léopold, rangée 3 transat 4, qui jouait sur sa Nintendo DS.

La soirée s’avéra si affligeante que les verres de rouge se succédèrent. C’était le triomphe de la médiocrité pleinement assumée. Léopold filmait tout ça, et semblait apprécier la mascarade des jeux à boire : « Et glou ! Et glou ! Et glou ! », des blagues sexistes et discriminatoires, des chenilles qui n’en finissaient plus de redémarrer. Anita, écœurée, battit en retraite sur le pont-promenade avec pour toute bouée de secours une bouteille de vin.

Celle-ci fut bientôt vide, et abandonnée sur le sol. Il ne lui manquait plus qu’un message pour qu’elle puisse se laisser tomber en mer. Les rêves romantiques d’Anita s’étaient échoués quelque part. Désormais ivre de colère, la jeune femme, debout face à la mer, invoquait le Léviathan, les naufragés du Hollandais Volant et autres Dieux faiseurs de tempêtes, pour qu’ils terrassent cette maudite croisière et viennent la sauver. Elle se figea quand elle aperçut, au loin, une masse sombre qui déchirait les nuages et fendait l’eau. On aurait dit qu’elle se rapprochait.

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