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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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  • Venez découvrir les textes écrits par les stagiaires et les écrivains des Ateliers d’Écriture du Prix du Jeune Écrivain, ainsi que divers témoignages et autres contributions littéraires. Crédit photos : Guy Bernot
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30 octobre 2015

A LA LISIERE DES REVES - Pierre Mrdjenovic

Sur les rives de Tunis, les flots tissent une écharpe d’écume au gré de leurs allées et venues, laissant le sol nu lorsqu’ils se retirent. Assis au bord du monde, je laisse mes pensées reposer sur le sable. C’est une étendue d’or fondu, figé en grains par l’effort du temps.

   Je me souviens d’un âge où nous partions, mon père et moi, longer les lieux où la mer vient rencontrer les hommes. Les yeux avides, je courais pieds nus, découvrant l’univers délicat qui devait bercer mes jours.  Les rochers, monstres aiguisant leurs couteaux aux reflets du soleil, écorchaient mon jeune pied. Parfois, un coup de pince venait me rappeler qui  avait droit de propriété. Alors, je m’en allais quêter les roses des sables, pensant qu’elles pousseraient au milieu des trésors …  Lorsqu’écrasé par la fatigue, je m’asseyais en retenant mon souffle, j’observais l’horizon, et restais là, face à la mer …


  Je me souviens du soleil couchant, façonnant quelquefois d’obscurs reflets sur ses flancs rougis. Une étoile mourante dévoilait ses écailles. Ses crocs mordaient le sable avec fracas, et sifflaient, en se retirant, la mélodie du désespoir. Je frissonnais alors de la voir se dresser, toute agitée de convulsions, déchirant l’espace en s’étirant. Et pourtant, voilée d’un drap blanc qu’elle écartait en soupirant, elle attendait son heure, tapie au fond des crevasses du temps.

  Mon père, dont les cheveux vieillis semblaient capturer l’iode, venait souvent s’assoir à mes côtés. Et comme je grandissais, nos dialogues changeaient :


«  Nous finirons par voyager tu sais, me disait-il, regarde là-bas, et tu sauras où nous allons … »
Il accompagnait ses paroles d’un geste du bras, pointant je ne sais quel archipel entre la mer et les nuages.
« Papa, la mer est-elle infinie ?


Je n’ajoutais rien, me contentant d’espérer qu’au bout des illusions, là-bas, subsisterait la musique de quelque poète disparu, quand j’aurai survolé l’espace immobile à force de volonté.
- Tu vois, reprenait mon père, la brume à l’horizon entre ciel et mer ? C’est la lisière des rêves … »   

    Alors, je restais seul, sur la plage, et je rêvais. Je contemplais les flots subtils, les paisibles remous d’une mer souriante. Le soleil teintait d’ocre les reliefs embrumés, les vagues venaient s’échouer sur le sable chaud qui courait jusqu’à mes pieds. J’étais seul et je rêvais. Je m’évadais là-bas, vers l’étrange lumière, vers les chimères qui me tendaient les bras. J’aurais voulu me glisser dans la doublure des manteaux de voyage. Mes envies trouvaient refuge dans le creux des marées. Les vents souriaient, le sable habitait mon visage, les coquillages flottaient en mon esprit, comme autant de beautés défiant l’éphémère. J’étais seul et je rêvais. Je rêvais aux terres lointaines, là-bas, là-bas … Qu’y avait-il là-bas d’ailleurs ? Des rêves égarés, des ombres poussées par l’aurore, des amours fanées ? Pour moi … c’était un peu tout ça à la fois, c’était beau, mais c’était loin …

  Aujourd’hui, j’ai dépassé l’infini. Je me regarde dans le cœur des vagues, et les vagues s’endorment en me regardant. Un léger soupir vient quelquefois ponctuer la berceuse dictée par l’écume. La mer est seule, et elle rêve encore … 

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