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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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30 octobre 2015

COPIEUR ! - Agathe Rolland

 

DSC_3282 (Copier)

«Verdier, dix-sept.»

Mon professeur se tenait debout devant moi, ma copie à la main. À l’annonce de ma note, le silence s’était fait dans la classe. Il me tendit ma feuille sans faire de commentaire. Les autres commençaient à s’agiter. Je les entendais pouffer et murmurer.

Le dix-sept était bien là, entouré d’un cercle rouge. Juste à côté étaient écrits ces mots : «Des similarités avec la copie de Davis. -2.»

Il m’avait enlevé deux points. J’aurais dû avoir dix-neuf.

«Monsieur !» Je levais la main. «Excusez-moi, je ne comprends pas votre commentaire.»

Il se tourna vers moi et haussa un sourcil.

«Allons Verdier... Vous savez très bien de quoi je veux parler.»

«Votre insinuez que j’ai copié sur Davis.»

J’avais prononcé cette phrase sur un ton un peu trop cassant. Je pris conscience que j’étais debout face à mon professeur.

«Je n’ai pas dit cela. Simplement, votre copie est très proche de celle de votre voisin. Vous avez utilisé la même méthode pour résoudre le second exercice.»

«Je n’ai pas copié.»

Je commençais à transpirer, mes poings se crispaient sur la table. Je voulais garder une voix neutre. Mon professeur esquissa un sourire et reprit :

«Comment expliquez-vous les similarités, dans ce cas ? Pensez-vous donc que c’est Davis qui a copié sur vous ?»

Tout en fixant ma copie sur la table, je répondis :

«Les similarités sont liées à l’exercice.» L’agitation reprit dans la classe. J’entendis Davis se racler la gorge. Je continuais :

«C’était évident qu’il fallait utiliser la démonstration du troisième théorème, ici.»

Une vague de protestation monta dans mon dos. Mon professeur me regardait en souriant.

«Ah bon ? Pourtant, vous et Davis êtes les seuls à l’avoir utilisée...»

Ma jambe gauche commençait à trembler. Je relevais la tête.

«C’est certainement parce qu’elle était dans le livre. J’ai travaillé avec le livre.»

«Moi aussi, j’ai travaillé avec le livre !» Lança quelqu'un. Plusieurs autres « Moi aussi ! » se firent entendre. Mon professeur balaya la remarque de la main et reprit :

«Vous savez, ce n’est pas grave d’avoir copié. Seulement, ne recommencez pas.»

«Mais puisque je vous dit que je n’ai pas triché !»

J’avais presque crié, cette fois. Ma jambe gauche s’agitait de plus en plus, je m’appuyais sur la table pour me soutenir.

«Très bien Verdier. Que voulez-vous ? Que je vous ajoute les deux points que je vous ai enlevés ?»

Je ne savais pas. Je ne savais pas pourquoi je m’obstinais. Maintenant que j’avais commencé, je devais aller jusqu’au bout.

«Oui. Je veux dire, non. Je ne sais pas. Ce n’est pas ça. C’est juste que je n’ai pas triché. C’est tout.»

«Très bien. Nous allons voir cela. Donnez-moi donc une primitive de 5x².»

5x². Une primitive de 5x². Il fallait soustraire 2 et diviser. Ou ajouter 1 à l’exposant  et 3 à 5. Ou l’inverse. Ou rien de tout ça. Je devais me calmer. Tout le monde attendait ma réponse, mais je ne savais plus. Je passais la main dans mes cheveux, pour me donner une contenance. Pour faire croire que je réfléchissais à la réponse. Elle ne voulait pas venir. Le vide total.

«Je ne sais pas.»

«C’est drôle ! Il s’agit de la troisième question du premier exercice, à laquelle vous avez bien répondu, justement.»

«Je sais... Je sais que ça paraît bizarre. Mais d’habitude je sais le faire.»

J’enlevais mes lunettes pour les essuyer sur ma chemise. Je les posais sur la table. Je ne voulais plus les voir. Je ne voulais plus qu'ils me voient, eux non plus.

«Verdier, c’est ridicule... Ne vous obstinez pas et avouez votre faute. Je vous le redemande : avez-vous triché ?»

Mes efforts étaient inutiles. Si je renonçais, tout serait fini. Mais j'étais déjà trop loin pour revenir.

«Non.»

« D'accord. Avez-vous fait des exercices pour préparer ce devoir ? Pouvez-vous me les montrer ? »

« Non. J'ai jeté les feuilles. »

Je les entendais murmurer mon nom et rire. Ils riaient de moi. Ils riaient de mes oreilles rouges et de ma voix chancelante. Ils étaient heureux que le professeur m'ait coincé. Le bourdonnement devenait de plus en plus fort. Il cognait contre ma tête. Je me concentrais pour rester debout.

« Très bien, Verdier, très bien. Je vous donne une dernière chance. Si vous avez appris votre leçon, vous devriez être capable de m'expliquer ce qu'est une primitive. »

Je regardais autour de moi, pour essayer de me raccrocher à quelque chose. Il n'y avait rien que des rires, des tables et des chaises. La réponse n'était pas inscrite sur le tableau blanc vide. Ni sur mes mains. Ni dans les yeux de mon professeur. Ma main droite se mit à trembler, elle aussi. Plus je cherchais les mots, plus ils m’échappaient. Ma leçon n'était plus qu'une soupe répandue dans mon cerveau, un bouillon inutile.

« Eh bien ? »

Je ne les voyais pas, mais eux me regardaient. Ils m'interpellaient. Ils voulaient que je tombe. Je ne tenais plus, je m'assis.

« Dans ce cas, je suis obligé de considérer que vous avez effectivement copié sur Davis. »

Je me laissais aller contre le dossier de ma chaise. Je voulais que tout soit fini. Je ne savais pas ce qu'il me disait. Je n'avais qu'une chose à faire pour que tout s'arrête.

Sans dire un mot, je hochai la tête.

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