Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
  • Venez découvrir les textes écrits par les stagiaires et les écrivains des Ateliers d’Écriture du Prix du Jeune Écrivain, ainsi que divers témoignages et autres contributions littéraires. Crédit photos : Guy Bernot
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Visiteurs
Depuis la création 44 017
30 octobre 2015

LE TEMPS CALME - Anna Zerbib

 

anna

A l’heure de la sieste Henri ne dormait pas.

Allongé, il se tournait d’un côté, de l’autre. Les matelas mousses étaient disposés en cercle sur le carrelage et, depuis le plafond, Henri paraissait être le wagon allumé d’un train assoupi. Il attrapait ses chevilles, il écarquillait les yeux, les doigts ; il retenait sa respiration le plus longtemps possible en comptant dans sa tête. Il restait les bras en l’air jusqu’à ne plus les sentir, et les laissait retomber sur le matelas. Il écoutait le sang revenir. Autour de lui, les autres enfants enroulés sur eux-mêmes étaient immobiles. Il tendait les mains en arrière pour toucher les orteils de l’élève derrière lui, il rencontrait une peau froide et il en était toujours étonné. Il rassemblait ses genoux et les éloignait lentement en essayant de sentir la chaleur les relier par un fil. Il faisait éclater en silence des petites bulles de salive au bord de ses lèvres. Parfois, elle coulait au coin de sa bouche et il la laissait sécher pour sentir sa peau devenir un masque de papier mâché dans le courant d’air.

Malgré l’obscurité verte des rideaux, il arrivait à percevoir les coloriages sur le mur : les bonhommes et les maisons, le soleil dans des contours noirs. La première partie de la journée était souvent consacrée à ces travaux interminables. Ce matin, pour y échapper, il avait dit qu’il avait avalé une perle. La maîtresse avait demandé très précisément quelle taille. Henri avait dû montrer avec le pouce et l’index. Il avait donné des détails : c’en était une en verre. On avait appelé son père. Dans le bureau de la directrice, il arrivait à la sentir dans sa gorge. Sa courte visite à l’hôpital ne lui avait pas permis de manquer l’après-midi. On l’avait ramené pour le temps calme. Il avait dû venir s’étendre, là, comme d’habitude. Laisser le sol l’envelopper et la déception rouler dans son ventre comme dans un labyrinthe à bille, en évitant les trous.

Il se releva à demi sur les coudes et loucha. Les autres enfants se multiplièrent et perdirent leurs visages. Il s’arrêta quand tout était flou. Certains dormaient sur le ventre, la joue écrasée contre l’alèse. Lisa était couchée sur le dos. Au milieu de ses jambes, sa jupe s’affaissait un peu. Il y avait une grotte en-dessous. Henri avait envie de la visiter, voir s’il y avait des animaux peints sur les parois  avec du sang et de la terre. Il se figurait la flamme d’un brasier faire galoper l’image d’un bison sur la voûte. Il sentait la bille créer une petite bosse sous son jean.

A côté d’elle, Mathilde avait détaché ses cheveux pour la sieste. Le reste du temps, elle portait un chignon rond. Ca se voyait soudain, qu’elle avait des nœuds. Il se demandait ce que ça ferait d’essayer de les défaire. Il voulait démêler une mèche sans peigne juste avec les doigts. Il se demandait si ce serait doux. Dans la lueur olivâtre, Henri trouva que ce serait sans doute comme marcher sur des algues. Il s’imaginait à marée basse y plonger sa main, et dans les ondulations, découvrir un coquillage caché, l’ouvrir avec ses dents, y trouver une perle, la mettre dans sa bouche. La sucer comme un bonbon pour échapper à la salle de classe, à l’appel. Il avait un goût salé sur la langue et il était bercé par le ressac des ronflements. Un animal préhistorique se décolla de la caverne et il le chevaucha pour s’enfoncer sous l’eau. Quand la maîtresse chuchota qu’il était l’heure, Henri se retourna en sursaut.

Publicité
Commentaires
Publicité
Publicité