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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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  • Venez découvrir les textes écrits par les stagiaires et les écrivains des Ateliers d’Écriture du Prix du Jeune Écrivain, ainsi que divers témoignages et autres contributions littéraires. Crédit photos : Guy Bernot
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5 octobre 2016

Nu devant moi - Eric LeBlanc

DSC_6119 Eric Leblanc

On ne me prend pas en photo.

C’est par accident qu’on se souvient de moi.

Quand mon coude tombe dans le cadrage d’un selfie, quand je mets un doigt sur l’objectif, quand un ami veut essayer mon appareil, quand on prend une photo de groupe et qu’on aime que le groupe ait l’air nombreux.

Ça va.

Je capture mes propres portraits.

 

Le trépied et le retardateur.

Dix secondes et l’obturateur crépite dans le salon.

Pendant ces dix secondes,

je chante.

Je chante une chanson que j’ai volé à quelqu’un.

Du Charlie Winston, du Pierre Lapointe, du Lana Del Rey, du Safia Nolin.

Quelques instants de passé, encore.

 

Je me place, j’imite des poses que j’ai vues sur Instagram, sur Ignant.

Un fond blanc et mon corps beige.

Le flou d’un mouvement qui déchire mon visage.

Mon dos écrasé par la lumière d’une fenêtre.

Des muscles et un sourire comme des objets.

 

Catch me if you can, working on my tan

Salvatore

Dying by the hand of a foreign man

Happily

 

Sur mes photos, dans mon salon, je suis nu.

Il le faut.

Comme on se déshabille pour s’isoler dans la douche, pour dormir, pour éjaculer.

Au dernier moment fermer les yeux, à cause du flash.

Tout à coup à l’intérieur de son corps.

On est toujours seul quand on est nu.

 

Entre chaque photo, je retourne appuyer sur le déclencheur.

Le pénis ballant entre les jambes, une cuisse engourdie par la pose, un poil arraché entre les doigts, me replaçant les cheveux ou me grattant une épaule.

Je ne suis pas ridicule, je chante quelqu’un que j’ai volé.

Parfois je bois.

Je ne pleure jamais, ce n’est pas le moment.

 

On a appris à sourire comme des hommes bien élevés

Pour détourner l’attention de nos sexes souillés

 

Mes photos sont sans issues.

Le son de l’obturateur rappelle celui des ciseaux qui tranchent.

Tout ce qui vivait avant le déclic glisse de moi, scalpé.

Il y a des noms que je ne prononce plus.

Alors qu’il y a dix secondes à peine, le retardateur clignotait

avec ses quelques instants de passé, encore.

 

Avant de croiser un miroir, je range tout, je me fais un thé, j’allume la radio, je me rhabille.

Je vais à la fenêtre et il pleut.

 

Parfois, je montre les photos à quelqu’un.

Je lui dis,

entre chaque pose, j’dois aller peser sur l’retardateur avec le pénis ballant entre les jambes, c’est ridicule, hein?

Je lui dis,

ça m’fait drôle de regarder ça, c’est pas moi que j’vois, sur c’te photo-là chui tout seul pis chui pas moi quand chui tout seul, ben j’veux dire que c’est moi, oui, c’est moi, mais pas en ce moment, c’est pas quelqu’un que tu connais.

Je leur dis,

chante-moi quelque chose.

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