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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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5 octobre 2016

Mais je ne pars pas... - Pauline Kamakine

DSC_5183 Pauline Kamakine

             Tu vois, nous avons fini par être ce que nous sommes. Mes rêves m’ont faussé compagnie, je les ai enterrés à chaque pas. Mais je n’ai pas le souvenir d’une autre liberté que celle que tu m’avais promise. Ma femme, mon amour. J’erre, tel un chien sauvage, dans une ville privée de ta lumière. Il est bientôt minuit et je m’égare. Tu t’inquiètes, prétends ne pas me reconnaître, mais tout homme hésite au seuil de l’inconnu.

 

            En ai-je aimé une autre que toi ? Jamais. Ton écho, si présent en moi, a cristallisé mon âme. Voilà des années que j’y pense. Je voudrais tout quitter, renier mon quotidien. Laisser place à cette fureur de vivre qui s’empare de moi dès que j’entends ta voix au téléphone. Préparer ma valise, mais n’y mettre aucune affaire. L’espoir est un orage, un éclair le déchire. Je ne vis qu’à travers toi. Mais je ne pars pas, la pitié est un fardeau.

 

            Nous ne sommes qu’à huit heures de mon mariage ; partir te rejoindre. Tout me trahit depuis que tu es revenue dans ma vie. Te voir sourire chaque jour que Dieu fait au lieu de t’entr’apercevoir, nageant, dans l’océan de mes tourments. Je n’existe que dans ta pensée, tu réveilles mes regrets. Cela fait neuf ans que nous vivons ensemble, tu comprends ? Neuf ans que tu ne cesses, jamais, de survoler mon paysage.

 

            Elle ne se doute de rien. Comment lui révéler ta puissance en mon être, ton empire ?

 

            Je ne l’aime pas. Je me marie par lâcheté. J’ai glissé, de secondes en années en me négligeant. Sans le vouloir, je suis devenu un fils au sein de sa famille. Comment les décevoir ? Je préfère me sacrifier, mais comment y parvenir sans toi ? Comprendraient-ils que je renonce à leur fille, leur sœur, leur bonheur ?

 

            Lui laisser une lettre, lui expliquer que le monde m’attend. Mais l’immensité de sa peine me poursuit inlassablement. Elle a tellement souffert dans les bras d’un autre, je suis devenu son gardien, je m’en suis fait une fierté, une raison. Si tu la voyais, elle a mis tant d’amour à préparer notre mariage. Rassure-toi, nous passerons juste devant le maire. La bénédiction nuptiale t’est réservée.

 

            Tu es partie si loin le jour où je t’ai quittée. J’ai oublié de t’accorder l’importance que tu méritais. Qu’aurais-je dû te dire ? Que je t’aimais avec la force d’un géant. Que ton départ était pour moi un tremblement de terre. Que rien ne serait plus pareil.

 

            Nos chemins se séparent ici, dans cinq heures qui n’auront que le goût de toi. T’avoir désirée plus que jamais avant de l’épouser. Tu sais, elle dit qu’elle m’aime pour des raisons banales. Elle nous projette une existence heureuse. Mais je lui suis infidèle, en pensée. Elle n’est qu’un voile posé sur toi.

 

            Deux pauvres heures encore. Maquiller sans farder. Elle est belle. Je lui ai offert ton parfum. Je ferme les yeux, tu apparais. Comment la quitter ? Lui annoncer que tu m’attends ? Mettre la pièce-montée à la poubelle, jeter les fleurs dans les champs, te vêtir de sa robe. Tu considères que la beauté n’a qu’un seul espace et c’est toi, mon rivage, mon voyage.

 

             J’enfile mon costume de marié. Le soleil approche de son zénith. J’ai vu beaucoup de voitures passer. Je suis le premier sur la scène du crime. On me dit que j’ai de la chance. Songe que j’écoute mais n’entends pas. Savent-ils que je leur mens ? Que c’est toi que je recherche au milieu de cette foule ? Je tremble, une chaleur me monte à la nuque, envahit mon front. On me demande si je vais bien. Où es-tu ? Une nuit noire s’avance vers moi. Empêche-moi de commettre l’irréparable.

 

            Je perds l’équilibre. Je ne réponds pas à la question posée. Une bague n’emprisonne que le doigt, jamais l’âme. La mariée m’embrasse. Le stylo tombe, l’encre se répand. L’étoile chancelle, se décroche du ciel. Mon cœur cesse de battre. Il m’était inutile depuis que tu ne l’accompagnais plus.

 

            Mes jambes fléchissent sous moi. « C’est l’émotion, relevez-le ! » Les entends-tu ces éclats de voix qui piétinent mon cadavre ? Ô Lisa ! Midi a passé. Viens m’arracher à ce destin qui me dépossède de toi à tout jamais...

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