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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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5 octobre 2016

Les poissons rouges - Florence Latullaie

Les cloches de l’Église Saint-Bernard carillonnent. Clara se réveille en sursaut. Il est dix-huit heures, elle a dormi tout l'après-midi. Elle enfile une nuisette sur sa culotte et secoue Bastien.

- Debout ! On n'a plus de bière !

 

Seule dans le studio, Clara n'est pas d'humeur à replier le canapé-lit, ni à faire la vaisselle. Calée sur l'oreiller, l'ordi sur les genoux, elle traque les sites de fleuristes. Elle cherche une plante increvable, que l'on peut oublier d'arroser,

 et qui pousse sans lumière. Internet rame. Elle se lève, avale une demi-barre de snickers et un verre de rouge, puis retourne se coucher.

Depuis hier, Bastien l'agace. Quand il la regarde, il a les yeux d'un môme affamé devant une glace au chocolat. Il est émerveillé, et en même temps, il aurait plus besoin d'un sandwich que d'une glace.

 

Elle va à la fenêtre, fumer une clope. La rue grouille de parapluies. Du cinquième étage, les ombrelles noires, transparentes ou à pois paraissent racler le sol. Certaines s'engouffrent dans la gueule du métro. Barbes, vieille arche en béton armé, prend l'eau. Satisfaite d'être à l'abri, elle monte le chauffage à son maximum.

Depuis l'été, elle vit avec Bastien. Leurs journées s'écoulent dans l'appart-aquarium. Boire. Parler. Baiser. Fumer. Parler. Re-baiser, avec du rap en bande-son. Ils sont entrés dans l'hiver à l'orée du monde, barbotant dans l'eau tiède de leur bocal de verre. Poissons rouges en sursis. Elle ne voit plus sa bande habituelle. Ils ne cherchent pas de travail. Par ses parents, elle a de l'argent pour deux.

 

Les bras chargés de paquets, Bastien claque la porte avec le pied. S'il continue, les voisins vont laisser un deuxième mot dans la boite aux lettres. Elle s'abstient de faire une remarque.

-  Une bière princesse ? Elles sont fraîches.

 

Ils sont assis en tailleur sur la moquette, cannettes de Kronenbourg, cendrier et chips molles, devant eux. Clara a les cheveux hirsutes et le visage renfrogné. Bastien fixe ses seins à travers la nuisette. Il lui caresserait bien les tétons. Elle évite son regard, joue avec le métal tranchant de sa cannette.

Quand elle a rencontré Bastien à la laverie de la rue Clignancourt, il avait une marque imperceptible, cette lueur dans l'iris, qui distingue les mal-aimés. A lui, elle a pu livrer les souvenirs qui corrompent son cœur, et que ses anciens camarades de sciences-po ne peuvent pas comprendre, les coups de son père avocat, les dérobades de sa mère. Bastien, l'enfant de l'ASE, parle le même langage qu'elle.

Ce soir, elle lui en veut. 

 

Il décide de préparer des pâtes au thon. Elle appelle l'une de ses potes, pendant la cuisson. Tu sais, si je ne l'avais pas autant dans la peau, je le larguerais ...Mais je crois que je peux l'aider …C'est mon problème, je suis trop généreuse. Bastien écoute ses propos. Pendant ce temps, la sauce thon-tomate-emmental brûle.

La mixture est mangeable. Elle l'embrasse dans le cou, en guise de merci. Il la serre contre son torse. Elle met Rihanna et éteint l'allogène grésillant. Trois bougies restent allumées. Ils dansent. Leurs mouvements sont saccadés. Ils projettent des ombres distordues sur le mur.

Vingt minutes plus tard, ils sont exténués, en sueur. Elle attrape la bouteille de sky. Il s'approche pour l'embrasser. Son haleine empeste. Elle le repousse.

- Je me contenterais d'une pipe, lâche-t-il.

Elle éclate de rire, dévoilant ses dents, brunies. Elle s'allonge sur le canapé-lit, il se colle à elle.

- Tu sais, si c'était mon ex qui était dans ces draps, à ta place, je le sucerais volontiers. Sa bite, elle sent bon l'adoucissant.

- Salope.

- Peut-être même, que je le laisserais venir entre mes fesses.

Elle n'a pas le temps de l'apaiser d'une caresse, il lui lance son poing à la figure. Il heurte d'abord les joues, puis son ventre et ses seins. Elle se recroqueville sur le lit, les bras sur le visage. Il vise la tête et le saillant de la hanche. Elle ne réagit pas. Il s'épuise.

Il attrape portefeuille et parka. La porte claque.

Clara est exsangue, mais ne pleure pas. Elle sombre.

 

Les cloches sonnent huit heures, elle ouvre un œil. Les éclairs violacés du matin l'agressent. Son sommeil a été agité. Elle se rappelle la soirée d'hier, a envie de hurler.

Elle retire sa nuisette déchirée. Titubante, elle s’approche du miroir. Les bleus affleurent. Elle a mal, comme si des aiguilles avaient percé les os à vif. Elle se retrouve tatouée malgré elle. Elle voudrait que Bastien paye le prix fort, qu'il déguste autant qu'elle a dégusté.

 

En automate, elle enfourne quelques affaires dans une valise. Sur le pas de la porte, elle hésite, c'est son appartement, et puis, partir pour aller où ? Elle retire son manteau, remet les vêtements dans le placard.

Le revoir, une dernière fois.

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