L’EXILEE - Pierre Vidal
La sirène Abysses méditait au Jardin de Craie. Elle le connaissait par cœur. Elle reconstruisait en esprit ses os de calcaire : les sentiers de dalles, le long desquels elle s'était perdue tant de fois ; les bancs sur lesquels elle avait profité de l'ombre ; les balustrades depuis lesquelles elle avait contemplé la mer.
Les odeurs de mousse et d'algue l'envahissaient. Son armure avait glissé de ses épaules et sa peau nue s'asséchait. La terre meurtrissait tendrement sa chair. Le chant des reinettes et le cri des mouettes l'empêchaient de se concentrer.
Elle ouvrit les yeux et se raidit : S'abrh, l'homme serpent, était assis auprès d'elle.
- Tu es là depuis longtemps ?
Il détourna le regard.
- Sssi peu…
Abysses se redressa, rajusta son armure et ramassa ses deux immenses kriss.
- Ne recommence pas, dit-elle froidement en passant devant lui. Il déplia son corps et adapta sa reptation à celle, laborieuse, de la sirène.
- Urt m'a demandé de venir te chercher. Une misssion nous attend.
Abysses acquiesça et remit son casque.
L'ophidien la laissa le dépasser. Ses yeux traquaient ses mouvements : de celui de ses épaules sous la cuirasse au balancement douloureux de ses hanches.