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Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
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  • Venez découvrir les textes écrits par les stagiaires et les écrivains des Ateliers d’Écriture du Prix du Jeune Écrivain, ainsi que divers témoignages et autres contributions littéraires. Crédit photos : Guy Bernot
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30 octobre 2015

LE RIDEAU ROUGE - Charlotte Landru-Chandès

 

à droite landru

     Il est là, derrière le rideau. Il observe les musiciens prendre place sur scène. Aucune anxiété ne vient troubler son visage. Il attend, sa baguette à la main. Il ne tardera probablement pas à faire son entrée. Un sourire se dessine sur ses lèvres. Son premier grand concert. Il est encore bien jeune…

     Ils sont presque tous arrivés. La plupart sont déjà assis. Quelques violonistes se font désirer. Une femme au deuxième pupitre réajuste sa robe noire, une autre prépare ses partitions, tandis qu’un homme au fond finit d’installer les percussions.

     Le chef est serein. D’où je suis, je distingue presque son regard. Un regard noir, dans lequel plaisir et impatience semblent se mêler. Il dévisage ses musiciens. Que peut-il bien penser ? Sont-ils trop lents ? Non, au contraire ; il les admire, il est satisfait. Peut-être même fier… Fier d’en être arrivé là. Fier de se produire à l’Opéra. Le rideau rouge le coupe de la scène. Il attend son heure. Ce si jeune chef…

    Une silhouette se détache de l’ombre, juste derrière lui. Je viens de la remarquer. Une femme. D’une main, elle tient un instrument, de l’autre elle relève le bas de sa robe. Serait-ce la soliste ? Elle paraît bien insignifiante. Evaporée dans la nuit des coulisses. Le chef concentre sur lui toute la lumière. Personne ne l’a aperçu et pourtant, on ne voit que lui, ce jeune homme figé à l’orée de la gloire. Il n’a pas peur. Il est avide de réussir. L’une de ses jambes est en avant, son buste est courbé vers la scène. Seules quelques secondes le retiennent. Quelques secondes devenues une éternité.

     Aucune partition dans sa main, ni sur le pupitre. Les trois mouvements sont dans sa tête. Il en connaît chaque rythme, chaque modulation, chaque ralenti, chaque nuance. Il connaît le concerto comme s’il l’avait écrit. Une lueur pétille dans ses yeux, ces diamants noirs fixés sur ceux qui lui obéiront, qui donneront vie au morceau qu’il dirigera…  Là il fera signe aux cordes de jouer moins fort, ici crescendo. Oui, oui, ce doit être à cela qu’il pense.

      Mais ce rideau, ce large trait rouge, le sépare de son rêve.

      Derrière moi, quelques murmures mécontents. Mais va-t-elle se pousser ! Je regarde l’heure. Je suis là depuis longtemps. Je croyais être seule.

      Je me décale vers la droite. La lumière change. La peinture est écaillée par endroits. La soliste disparaît. L’œil du chef d’orchestre s’illumine. Tout se passe comme s’il allait monter sur scène, là, maintenant.

      Une dame me bouscule. Un couple, une famille, des femmes, des hommes passent devant moi.

      « Ah le voilà ! C’est celui qu’ils ont retenu pour l’affiche ! Il est plus grand que ce que j’avais imaginé. »

      C’est fini. Un rideau de visiteurs me sépare de mon musicien. A peine ai-je le temps de lire son nom. « Premier concert de Piotr Rostov et de Natacha Blonka, Prague, huile sur toile deV. Leski ».

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