Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
Écrire à Muret avec le Prix du Jeune Écrivain
  • Venez découvrir les textes écrits par les stagiaires et les écrivains des Ateliers d’Écriture du Prix du Jeune Écrivain, ainsi que divers témoignages et autres contributions littéraires. Crédit photos : Guy Bernot
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Visiteurs
Depuis la création 44 008
30 octobre 2015

L'ODEUR D’UNE RELIQUE - Joachim Rosenwald

 

6

Le père Pierre observait avec défiance la rangée de reliques de la chapelle : les dents, les colliers, les osselets, arrangés comme des trésors antiques dans l'alcôve. Pierre croyait encore aux bonheurs sereins, à la décence joyeuse, aux passions retenues. Il ne goûtait plus, depuis longtemps, les fétiches d'un autre âge, les figurines à faire peur, les joyaux morbides, lui qui était bon et doux, qui ne goûtait que le contact avec ses frères et sœurs, lui qui aimait vivre tout l'an comme un jour de Noël.

 

Parmi les reliques, la main embaumée d'Eustache attisait sa colère. Quelle horreur de garder comme un bijou de femme le membre amputé d'un saint homme, les doigts tordus et momifiés, les os perçant sous le cuir gris... Il abhorrait le mélange d'horreur et de révérence par lequel les religions asseyaient leur empire depuis des siècles.

 

Un soir, il convia les fidèles tous ensembles à célébrer des vêpres extraordinaires. Il débarrassa l'autel des draps et des oripeaux, et disposa dessus un petit grill. Devant la troupe éberluée, il ouvrit le coffre qui renfermait la main et posa la relique sur les barres rougeoyantes. Elle était sèche et fine. Il arrosa le tout d'huile. A la stupeur générale, une flamme crépitante s'élança vers la voûte. Pierre cria :

 

— Brûlons la chair car elle n'est que chair, viande, rien du tout ! Qu’elle soit bénie, ta tendre main, et accueillons comme il se doit saint Eustache, délivré des trouilles et des grigris ! Si l'on me damne, si l'on m'excommunie, amen !

 

Mais alors, au lieu du fumet de cochon pourri attendu, ce fut un soupir bleui qui émergea de la braise. Les volutes dansaient et s'entrelaçaient. Lorsqu'elles recouvrirent en douceur l'assemblée, tous sentirent le parfum délectable d'une rose se poser sur eux. Depuis les vitraux, la lueur lunaire se réfractait en couleurs cerise à travers la fumée.

 

Autour de la main calcinée, un éclat de feu blanc comme neige réchauffait les ouailles. Le temps de la flambée, on eût cru qu'il y avait assez de joie pour emplir toutes les rues du village.

 

Publicité
Commentaires
Publicité
Publicité